Lire, juin 2012, par Christine Ferniot
Génération exposée
Entre quotidien et tragédie, un tableau de la France des années 1950 vues par un enfant.
À l’épicerie Lorca, on vend essentiellement des produits d’Espagne : barriques d’olives, bidons de piments, mais aussi morues séchées et salées, sacs de haricots et biscuits de toutes sortes. Près de la grande halle, au cœur de Bordeaux, tout le monde se croise dans ce magasin parfumé. Alfred, le commis, a toujours une blague à raconter, une anecdote en échange d’un verre de blanc au Petit Comptoir, à côté de la boutique. Une vie douce s’écoule lentement pour le petit Federico Lorca, qui fait ses devoirs à l’étage, croisant ses parents affairés entre le magasin et l’appartement, tandis que la grand-mère veille au grain. Pourtant, en cette fin d’année 1956, quelque chose est en train de changer, imperceptiblement. Karim, le jeune Algérien qui a quitté son pays pour tenter sa chance en France, sent bien qu’il n’est plus le bienvenu. Maxime, étudiant brillant et engagé à gauche, craint pour son sursis. Les mois passant, les tensions se précisent et les luttes s’organisent. Karim se range aux côtés du FLN, Maxime va partir faire la guerre en Algérie contre son gré. Chez les Lorca, on ne fait pas de politique mais les drames des uns et des autres ne peuvent pas leur échapper.
François Garcia a choisi Federico comme narrateur de ce roman en demi-teintes. Sa naïveté d’enfant permet d’alterner le quotidien joyeux d’une famille et les tragédies qui se développent près de chez eux. Un chapitre s’attarde sur un mariage provincial, l’arrivée de la télévision dans le foyer, les inquiétudes des commerçants devant les grandes surfaces qui les menacent. Puis le lecteur suit les angoisses de Karim, sa famille restée à Alger et les nuits solitaires où il doit se battre dans l’ombre, se cacher de la police française. Maxime représente aussi une jeunesse sacrifiée, obligée de faire face à des ennemis qui n’en sont pas, à la torture qu’il refuse de cautionner.
L’écriture de François Garcia reste légère, très dialoguée, mélange d’élégance et de familiarité. Il réussit à évoquer des sujets graves sans donner de leçons et brosse le tableau d’une France en mutation qui voudrait regarder vers l’avenir mais comprend, comme Federico, que les temps changent : certains jours radieux comme le début des vacances d’été, d’autres plus sombres comme le retour d’un cercueil plombé. Restent la Coupe du monde et le Tour de France. Federico et Alfred comptent bien accueillir André Darrigade à la prochaine étape. Ce type est un sacré sprinter.