La Croix, 30 octobre 2003, par Jean-Maurice de Montremy

La ferveur andalouse du Rocío

Le récit de Francis Marmande explore la culture andalouse, dans le sillage des pèlerins qui rendent hommage à la Vierge du Rocío.

Depuis le XVe siècle, les foules d’Andalousie pèlerinent vers le Rocío, dans les marais du Guadalquivir. Par rapport à Séville, c’est le « sud du Sud », pour reprendre l’expression de Francis Marmande. Alors que la civilisation arabo-andalouse s’effondrait sous la pression des rois catholiques, la Vierge apparut là-bas, dit-on, à un berger, une Vierge de rosée (rocío). Elle se tenait à l’écart, parmi les ronces, à l’abri des infidèles depuis les anciens temps.
Chaque année, le mercredi précédant la Pentecôte commence donc une marche de huit jours. On vient des villes et des campagnes célébrer la Vierge du Rocío, quartier par quartier, village par village, confrérie par confrérie.
En 1986, un Andalou confie à Francis Marmande – grand amateur d’arts taurins – que la fameuse feria de Séville n’est rien à côté du Rocío. Bien qu’il s’affirme « athée comme un réverbère », l’écrivain se met en route à son tour vers l’église blanche. Il chemine avec une confrérie de Triana, le quartier gitan. Ainsi naquit ce récit où reportage, chronique et poème se confondent au rythme de la longue marche sous le soleil et des nuits fiévreuses dans les campements.
On se pare, on boit, on chante. Les milliers de rocieros suivent des chars décorés, chapelles roulantes traînées par des bœufs. À quoi s’ajoute une invraisemblable caravane où se juxtaposent tous les moyens de transport : ânes, mules, chevaux, voitures, camping-cars, tout-terrain, camionnettes, camions, autocars.
Disputes et cantiques, morts et guérisons, ordures et pépites. C’est rutilant, clinquant, hétéroclite, à la fois corrida, prière, fête foraine, grand-messe, feu d’artifice. La foi, l’incroyance, la superstition, le scepticisme, l’ironie, la ferveur n’ont plus de sens. Quel qu’il soit, le rociero se confond entièrement, huit jours durant, au Rocío.
La force, le disparate et la beauté du texte de Francis Marmande tiennent à ce paradoxe. Il fait voir et sentir le Rocío sans jamais adopter le point de vue distant d’un spectateur, mais ne se perd pas pour autant dans l’intensité des sensations. Son récit visuel, musical, olfactif explore aussi la mémoire, la culture et la politique andalouses. Le Rocío est bien « l’un des pèlerinages les plus fous de la planète ».
Depuis 1998, les autorités tentent, une fois de plus, d’y mettre bon ordre. Les pires menaces pour le Rocío restent pourtant le bétonnage, le bitumage et la pollution de l’Andalousie. Encore que les rocieros soient capables d’intégrer les scories de la modernité, comme ils l’ont fait de tout le reste.