Le Commercial du Gard, 9 mai 2012

Durant les nombreuses années Christian torea en France ou à l’étranger, son frère Alain l’accompagna lui servant d’apoderado, de soutien moral dans les passes difficiles, de conseiller technique lors des corridas, et lorsqu’un miura provoqua le tragique accident qui eut lieu dans les arènes d’Arles, il resta auprès de lui, partageant sa chambre d’hôpital et ensuite celle de la maison de convalescence tout le temps que dura sa rééducation.
Après la mort de Christian, Alain fut désespéré.
L’écriture lui servit de thérapie et dans ce récit émouvant intitulé Recouvre-le de lumière, il nous raconta avec émotion et sensibilité toutes ces années au cours desquelles ils furent si proches l’un de l’autre.
Après ce livre bouleversant, magnifique, dont on fit même une adaptation théâtrale interprétée dans des arènes et des théâtres français par Philippe Caubère, un deuxième livre, Le Sens de la marche, nous fait pénétrer davantage dans ce monde si particulier de la tauromachie.
Voici le troisième opus de cette suite, Le Fumeur de souvenirs.
Différents des précédents, il se compose de vingt-neuf courts récits, des anecdotes vécues, des souvenirs dans lesquels, bien entendu, plane toujours l’ombre de Christian.
Maintenant le deuil est fait, mais la sensibilité à fleur de peau de l’auteur est toujours présente. C’est toujours un hommage qui est rendu à son frère même si la totalité des pages ne lui est pas consacrée.
Au fil des jours et des chemins, au fil des rencontres, de ville en village, Alain a recueilli mille et un souvenirs qu’il nous conte avec sa verve habituelle.
Ce sont souvent des petits, des sans-grade, dont il est fait écho, des hommes qui plaçaient beaucoup d’espoir dans la tauromachie mais qui n’ont pas réussi et n’en sont pas pour autant aigris. Pour beaucoup, le rêve a été brisé et ils vivent toujours avec cette nostalgie du passé.
Il y a aussi ceux qui s’inventent une biographie, un passé, une vie imaginaire pour que le réel du présent leur paraisse moins sombre. Et quelle que soit leur trajectoire, ils gardent tous un espoir, une flamme, pour que leur avenir soit meilleur.
Il y a parfois aussi des moments inattendus. Par exemple, cette course en octobre 1977 à Valencia au Venezuela. Lorsqu’au cours de la corrida, Christian prend les banderilles de couleur blanche pour exécuter leur pose du deuxième tiers, une partie du public ovationne, une autre siffle. Après une pause magistrale, Christian vient à la barricade et s’étonne qu’une partie du public le siffle alors que l’autre l’ovationne. Il apprend alors avec stupeur que, étant en pleine campagne présidentielle, les blancs de l’action démocratique applaudissent, tandis que les verts de l’opposition le sifflent. Le torero demande alors qu’on lui trouve des banderilles différentes pour le deuxième taureau.
Il y a aussi cette rencontre de ‘auteur avec un personnage haut en couleur qui l’entraîne, le jour de Toussaint dans un cimetière du bout du monde, où il va s’incliner sur une tombe qui est en réalité n’est pas celle des parents qu’il s’est inventée…
Voilà un livre, qui dans la droite lignée de la suite consacrée au matador Nimeño II, mérite de faire partie de la bibliothèque des aficionados.