Le Point, 19 juillet 2012, par Marine de Tilly

Morts dans l’après-midi

La corrida divise, mais produit encore une belle littérature.

Depuis le suicide du grand torero français Christian Montcouquiol, quelques mois après une cornada qui l’avait paralysé à vie, ou plutôt à mort, son frère Alain l’écrit et le pleure sans relâche. Après Recouvre-le de lumière et Le Sens de la marche, voilà Le Fumeur de souvenirs, troisième pèlerinage sur les rives de la vie glorieuse et tragique de « Nimeño II ». Avec classe, et une émotion poignante, Montcouquiol trace les visages, les rivalités, la sueur dans les yeux, les trous dans la peau, le ramdam sous la poitrine, les cabrioles devant la mort. D’aucuns diront que, à force d’écrire la vie et la fin de Christian, Alain s’empêche de vivre. Mais peu de gens ont ce sens éblouissant de la mort, cette capacité de s’entraîner à mourir, tout en respirant. Certains artistes l’ont, et tous les toreros. Alain Montcouquiol est ou a été les deux. Comme dans la chanson mexicaine qui donne son élégant titre au roman, il « allume un souvenir et, lentement, il le fume ». Sans fêlure, la lumière ne passe pas. C’est d’elle, encore, qu’a jailli ce splendide requiem.
[…] dans les livres de Montcouquiol […], tout n’est qu’instinct, pur, brut. Chaque page prend à la gorge, la serre, et engloutit tous les sens. Même quand on n’y connaît rien. Même quand on n’y comprend rien. Aussi fou, aussi profond que le mystère de la foi, il y a, n’en déplaise aux censeurs du nord de la Loire, le mystère de la corrida.