Midi libre, 24 août 2008, par Vincent Coste
Alain Montcouquiol au nom du frère, et du père aussi
Onze années. Il aura fallu attendre onze années pour retrouver Alain Montcouquiol en littérature. Alain Montcouquiol, frère de Christian, Nimeño II, la première grande vedette française de la tauromachie, fauché en plein envol par un Miura en 1989 et qui mettra fin à ses jours deux années plus tard.
De cette histoire, la sienne, celle de son frère, de ce qu’ils ont partagé et qui a disparu à jamais, de ce manque après la disparition du cadet, de la vie sans lui, ou plutôt avec lui à l’esprit, toujours, de tout cela et de mille autres choses encore, Alain Montcouquiol tira un livre en 1996.
Ce fut Recouvre‑le de lumière, une confession bouleversante, un texte admirable, et une sorte de petit miracle éditorial : plus de 15000 exemplaires vendus, et une sortie en collection de poche, soit deux raretés absolues dans le créneau du livre tauromachique. Sans oublier une adaptation théâtrale signée et jouée par Philippe Caubère. Nous ne croyons évidemment pas aux miracles. Si ce livre a touché un large public, au cœur, c’est qu’il a évidemment très généreusement débordé du strict cercle du lectorat aficionado. Cette histoire de fratrie était, reste, universelle. Depuis Recouvre‑le de lumière, Alain Montcouquiol a continué d’écrire. Tous les jours.
Les lecteurs amoureux du premier opus, ceux qui l’ont lu, relu et offert maintes fois, guettaient un signe du retour en librairies de l’auteur de Recouvre‑le de lumière. Demain, avec la parution de Le sens de la marche, ils seront comblés.
Dès son préambule, Alain Montcouquiol précise : « Qu’importe alors, si dans les textes qui s’imposent à moi je parle encore de lui ou si, parlant de lui, je parle encore de moi. Qu’importe si je me répète, si je redis jusqu’au ressassement qu’il me manque et que tout me rappelle son absence, je n’ai rien d’autre de plus urgent à dire. » Le souvenir de son frère habite donc encore ce récit. Où l’on replonge dans la vie intime d’un mundillo cruel et admirable, avec ses violences et ses fulgurances. Où l’on revit la passion de l’auteur pour cette tauromachie qu’il a lui aussi pratiquée avant de s’effacer. Où l’on comprend les rares moments de bonheur vécus devant le toro, et où l’on ressent leur intensité sans égale. Où l’on savoure les portraits brossés en quelques mots, avec l’acuité d’une langue simple et l’empathie d’un regard plein d’humanité.
Et puis ce livre a sa clé, une pierre baptisée Westor, qui fait ici office de Rosebud, ce nom mystérieux dont tous les protagonistes du film Citizen Kane d’Orson Welles cherchent à découvrir la signification. Une pierre qui nous mène jusqu’à Léonce Montcouquiol, le père, qui reste la grande affaire de cet ouvrage. Un père militaire brisé par la guerre d’Indochine, mort alors qu’Alain n’avait que dix ans, maladroitement aimant, essayant de donner à son fils ce que ce dernier ne souhaitait pas recevoir et qui, jamais, ne le laissa pénétrer ses jardins secrets. Dans les pages qui lui sont consacrées bat aussi le cœur du livre. Un cœur lourd de chagrins.