Midi libre, 30 janvier 2012, par Roland Massabuau et Mathieu Lagouanère
« J’écris des trucs, mais je n’ai jamais rêvé d’être écrivain »
Propos recueillis par Roland Massabuau et Mathieu Lagouanère
Avec Le Fumeur de souvenirs, Alain Montcouquiol, frère de Nimeño II, publie son troisième ouvrage. Un recueil d’une trentaine de récits forts, émouvants ou drôles.
Comment est né ce troisième livre, Le fumeur de souvenirs ?
Au moment de la parution du Sens de la marche, mon deuxième livre, il y a plus de trois ans, j’avais envoyé tous mes manuscrits à Jean-Michel Mariou, le directeur de la collection « Faenas », chez Verdier. Il m’a dit : « C’est vachement bien, mais il y a deux livres là-dedans ». Il a pris de la matière pour publier Le Sens de la marche. J’ai retravaillé le reste, j’y ai ajouté de nouveaux textes, et voilà Le Fumeur de souvenirs. Je n’ai aucun plan. Je ne fais jamais un livre, j’écris des trucs. D’ailleurs, je ne me considère pas comme un écrivain, je suis un auteur. Un écrivain, c’est autre chose, c’est un professionnel de l’écriture. Je suis quelqu’un de profondément désorganisé. J’essaie juste de faire de mon mieux, avec deux soucis constants : être simple et qu’il y ait un minimum de musicalité dans la phrase.
On écrit toujours, dit-on, pour quelqu’un. Et vous, pour qui ?
Si j’écris, c’est pour les enfants de mon frère, Sophie et Alexandre. Ou pour leurs enfants à venir. Pour eux, je tiens à être le plus exact et précis, avoir une base de données sérieuse. Christian est mort quand ils étaient très jeunes. Lorsqu’on est indirectement les enfants d’une statue, c’est très compliqué dans la vraie vie. Qu’ils aient basculé dans le « bien » me remplit de joie.
Depuis quand écrivez-vous ?
Quand mon frère est mort, j’ai écrit. Il valait mieux écrire que me « péter la gueule ». Quand je sortais, j’avais l’impression que tout le monde me regardait et me plaignait. J’étais mal. Mais je n’ai jamais rêvé d’écrire des livres ni songé à publier. D’abord, même, je ne voulais pas. Je trouvais péjoratif d’utiliser l’image de Christian. Je disais « Je ne vais pas le vendre comme un yaourt ». C’est Jean-Michel Mariou qui m’a convaincu de le faire, « ne serait-ce, que pour Sophie et Alexandre ». J’ai compris ça. Moi, si j’avais un cahier de mon père (décédé alors qu’Alain avait 10 ans, NDLR), ou des textes qui racontent son histoire, je serais ravi. Ensuite, un livre en devient un à partir du moment où un lecteur inconnu l’a lu…
Recouvre-le de lumière en a rencontré énormément, de lecteurs… À titre personnel, que vous a apporté ce premier livre ?
D’abord, ce livre s’est vendu dans les villes taurines, puis on a vu qu’il était acheté ailleurs, qu’il y avait des gens pour ne pas le considérer comme un ouvrage de toros et qui lui ont offert une seconde vie. Et finalement, c’est ce livre qui m’a permis de commencer à sortir du monde des toros. J’ai continué à écrire, j’ai rencontré des gens dont la passion pour d’autres choses ressemblait à la mienne. Philippe Caubère ou Denis Podalydès par exemple. Eux le théâtre, nous les toros.
Vous avez dédicacé durant deux jours au Festival de la biographie. Est-ce un plaisir de rencontrer vos lecteurs ?
Très souvent, ces rencontres m’ont permis des conversations d’un niveau humain magnifique. Par exemple quand quelqu’un me dit : « Les toros, je ne connais pas. Je n’irai jamais voir une corrida, mais votre livre m’a touché. » Aujourd’hui, j’ai l’impression que quand on n’est pas d’accord avec quelqu’un, on devient son ennemi. La discussion, la polémique ont disparu. C’est un monde désespérant ! Il me reste peu d’années à vivre, ce ne serait pas raisonnable que j’écoute des gens me dire ce que je dois lire, aller voir au théâtre, penser, etc. Mais lors des dédicaces, ceux que je rencontre me sortent de ce désespoir. Parfois, en trois minutes, quelque chose me réconcilie avec la nature humaine.
Et maintenant ?
J’aimerais essayer d’écrire de la fiction pure, je ne sais pas si j’y arriverai. Mais est-ce que la description d’un rêve ou d’un cauchemar, c’est de la fiction ? Je ne sais pas. La question est posée.
Il a dit aussi
Le titre. – « Ce titre, Le Fumeur de souvenir vient d’une chanson mexicaine que je connais depuis toujours, de la grande chanteuse Amparo Ochoa. Elle débute par l’histoire d’un petit-fils qui retrouve son grand-père par hasard sur un marché de Mexico. »
Les anti. – Profondément touché par la manifestation au pied de la statut de son frère, le dernier jour de la feria des Vendanges, Alain Montcouquiol se refuse à parler anti-corrida. « Je ne veux pas entrer dans cette guerre-là. Je considère que c’est insignifiant. Il y a d’autres horreurs tellement visibles… »
Les projets. – « J’aimerais lire en public. Récemment, j’ai fait un “mano a mano”, à La Rochefoucauld, avec Philippe Caubère sur Le Sens de la marche. J’ai eu tellement peur, mais quand ça a été fini, c’était tellement bon que je le referais volontiers… »
La musique des émois : souvenirs d’Alain Montcouquiol
Par Roland Massabuau
Il y a des toros, certes. Des vrais, puissants et dont la corne frôle le visage des maestros qui les attendent à la porte du toril pour une larga à genoux, et ceux qu’on invente. Des toros imaginaires, devant lesquels on dessine une faena de rêve un jour d’hiver quand la neige recouvre la piste des arènes de Nîmes.
Mais Le Fumeur de souvenirs, troisième ouvrage d’Alain Montcouquiol, contient bien plus que des combats, réels ou fictifs. Il déroule une série de récits, majoritairement courts, qui comme des flashs de souvenirs, laissent l’humour, l’inattendu, les anecdotes de voyages, les rencontres, les élans de générosité et les émois du quotidien habiter le paysage. Et lui donner une dimension humaine et une délicatesse touchante.
Entre Nîmes et l’aéroport de Lima, Valdepeñas et la gare de Bordeaux, des scènes et des regards qui se croisent, une partition d’histoires vraies et des tranches de journées qui font la profondeur et l’épaisseur d’une vie.