Sud-Ouest, 12 octobre 2008, par Yves Harté

Le silence des pierres

Il aura fallu onze ans de silence avant qu’Alain Montcouquiol publie un second texte après l’incroyable et bouleversant Recouvre-le de lumière. Le premier livre parlait bien sûr de la mort du frère. Onze ans sur lesquels se posa le long drap noir du silence. Et un deuxième livre miraculeux, autour de la même et cruelle question, lourde pierre qui n’en finit jamais de rouler. Pourquoi Christian est mort ? Alain Montcouquiol n’en finit pas de revisiter ce que fut cette jeunesse qu’il avait, par procuration, léguée à son frère cadet. Christian était torero. Lui avait quitté le centre de la piste pour rester de l’autre côté des planches.
Il revient à l’éternelle interrogation, comme le cahot de ce train qui rythme les souvenirs d’un exil à l’envers qui l’amenait à 20 ans vers Barcelone. Ce qui aurait pu n’être que ressassement rémanent se change en un récit poignant, non plus simplement consacré à ce frère disparu mais sur la mort et le sens qu’elle revêt pour chacun de nous. Une mort dont on comprend combien elle a entouré la vie des deux frères. Le père disparu trop tôt pour dire ses secrets. L’enfance que l’on construit avec déjà la connaissance de l’absence. Tout ce qui compose l’existence de deux jeunes gens unis au-delà de leurs sentiments fraternels par une même passion qui est un jour renvoyée dans la nuit.
Reviennent aussi, dans un émouvant contrepoint, les propres souvenirs d’Alain, son apprentissage picaresque dans cette Espagne des années soixante, désormais si lointaine, les débuts difficiles dans ce Madrid où il fait froid et où une bibliothèque publique permet de se réchauffer. Un double.
Tout le livre est ainsi construit dans un perpétuel et lent mouvement de va-et-vient d’un temps passé à celui d’aujourd’hui, ressuscitant l’image du père, cet homme qui s’éteint et donne par avance l’apprentissage de la solitude. Les fantômes se pressent, ceux tragiquement comparables de deux amis toreros frappés eux aussi dans ces terribles décennies, Paquirri en pleine gloire et Julio Robles, ce dernier victime comme dans une farce grimaçante de la même blessure que Christian Montcouquiol, paralysé sur une chaise roulante avant que la mort ne l’emporte.
Enfin, ultime facette à cette énigme qu’est l’existence, la présence d’une curieuse pierre sur laquelle un jeune enfant écrit un mot compréhensible seulement par lui-même. On en vient à se demander si, dans sa mystérieuse signification, il ne composait pas le premier tracé d’un destin que l’auteur a la force poignante d’assumer mais surtout de réécrire à nouveau. Comme si les mots pouvaient rattraper la vie.