Marianne, 18 février 2012, par Anne Dastakian
Guirchovitch et les collabos ukrainiens
Troisième roman de l’écrivain russophone Léonid Guirchovitch, Schubert à Kiev se joue en Ukraine sous l’occupation allemande, entre juin 1942 et janvier 1943, après le massacre de juifs à Babi Yar. Premier violon à l’opéra de Hanovre, Guirchovitch place l’opéra de Kiev au centre de son livre. Sans y avoir jamais mis les pieds, ce romancier singulier décrit avec une précision d’entomologiste le quotidien tout sauf héroïque de ses héros, ballottés entre petits compromis d’une collaboration sans éclat, ambitions personnelles et rivalités professionnelles.
Le nœud papillon assorti à son œil bleu pétillant, Guirchovitch piétine avec bonheur les tabous de l’histoire russe, sans juger ses personnages, traités avec la virtuosité d’un compositeur. Fin connaisseur de la mentalité soviétique, mais aussi de l’Allemagne, où il vit depuis 1979, il nous livre un tableau pénétrant de cette époque tragique.
Schubert à Kiev n’est pourtant pas un livre facile. Il foisonne des innombrables références musicales et littéraires de son auteur : juif né à Leningrad, viscéralement antisoviétique au point de rejeter la langue russe avant d’y prendre goût en lisant Nabokov, il est devenu écrivain dans l’émigration. « J’écris comme en latin », lance-t-il avec un large sourire. Soit. Mais son latin, nourri par Nabokov, Boulgakov, Brodsky et Thomas Mann est bien vivant.