Le Quotidien de Paris, 9 juin 1989, par Antoine de la Taille
L’âme des Naïades
Philosophe néoplatonicien du IIIe siècle, Porphyre de Tyr doit beaucoup sa postérité aux œuvres de son maître Plotin, dont il a donné une édition d’ensemble dans les six Ennéades, et à l’Isagoge, une introduction aux Catégories d’Aristote qui fera autorité au Moyen Âge. Dans L’Antre des nymphes dans l’Odyssée, Porphyre se propose de dévoiler le sens symbolique des quelques vers où Homère décrit l’antre mythique d’Ithaque, consacré aux nymphes des eaux, les Naïades. Confiant dans les intentions allégoriques du poète, sans lesquelles l’exégèse serait « conjectures d’hommes subtils », Porphyre se représente l’antre comme le symbole du monde sensible et les nymphes Naïades comme « les âmes qui viennent à la génération ».
Cette méditation sur l’incarnation n’est pas sans rappeler la célèbre allégorie de la caverne dans la République de Platon ou les pages difficiles du Timée. Mais l’érudition de Porphyre enrichit cette glose de citations d’Héraclite et du texte biblique, d’allusions aux mystères égyptiens et chaldaïques, et témoigne par là même des distances qui le séparent du fondateur de l’Académie. Cette appropriation du fond mythologique par un des derniers philosophes grecs entre dans l’histoire de l’interprétation. Elle montre comment l’activité herméneutique fonctionne comme défense et illustration d’un patrimoine dont l’éloignement se fait sentir. Proposée dans une édition bilingue très soignée, elle est précédée d’une « Introduction à la philosophie de Porphyre » par Guy Lardreau, parfois embarrassée. Lorsqu’il s’agit du commentaire d’une exégèse, celle de Porphyre, la concurrence des deux pratiques donne à la seconde une ironique actualité.