Marianne, 11 janvier 1999, par Maurice Szafran
À propos de l’art moderne, de sa place dans l’évolution culturelle, de ses apports et de ses (incontestables) dérives, les polémiques sont multiples et trop souvent « excommunicatrices ». Quelques-uns se souviendront des attaques insupportables portées par notre confrère du Monde Philippe Dagen contre tous ceux qui, dans ce journal notamment, ne portent pas aux nues toute œuvre dite « moderne ». Voilà pourquoi il faut faire l’effort de se plonger dans le livre de Gérard Wajcman, L’Objet du siècle. Parce que l’auteur, refusant avec hauteur le jeu trop souvent vain de la polémique, tente d’articuler le XXe et l’art de ce siècle. Le XXe siècle, celui d’Auschwitz. Donc réfléchir sur le visible, l’invisible, l’absence et la mémoire. Wajcman s’y essaie, d’une époustouflante façon.
L’auteur articule sa démonstration autour de quatre œuvres, toutes essentielles : une sculpture (de Duchamp), une peinture (de Malevitch), des monuments élevés en Allemagne par Gerz et, enfin, un film, Shoah (de Claude Lanzmann). Et cette question, obsédante, qui vient et revient sans cesse : comment « faire de l’art » après Auschwitz ? Et Wajcman d’écrire quelques pages éblouissantes sur le film de Lanzmann, sur ces images qui montrent « l’absence qui creuse et qui habite le monde ».
Ce livre mérite qu’on s’y arrête, qu’on s’y attelle, qu’on y réfléchisse. Car il nous aide. C’est si rare.