Préfaces, décembre 1990
Homère, on le sait, était l’éducateur de la Grèce, le symbole le plus prégnant de l’hellénisme. Platon, qui pour les néo-platoniciens n’était pas un philosophe, mais un « hiérophante », un porteur de Révélation, avait condamné Homère. En un temps – le IIIe siècle de notre ère – où l’hellénisme était menacé, pas question d’abandonner le poète : il fallait donc lui faire dire ce que disait Platon. D’où l’allégorie. Des onze vers par lesquels l’Odyssée décrit l’antre des Nymphes, Porphyre s’emploie à fournir, en seize pages, une exégèse allégorique qui en fait un texte néoplatonicien.
Pour deux raisons au moins, il était utile de publier, avec une traduction, ce texte difficilement accessible. D’abord, il ne devrait pas laisser indifférents tous ceux qui s’intéressent aux problèmes de l’exégèse, à qui les brefs repères conceptuels et historiques fournis par G. Lardreau seront utiles. Cette importante introduction (63 p.) justifie à un autre titre la publication d’une œuvre mineure d’un philosophe souvent jugé secondaire. G. Lardreau restitue à Porphyre sa place, qui est majeure, dans l’histoire de la pensée.
Porphyre est en effet tout à la fois l’intermédiaire de Plotin ; l’homme par lequel « se sont noués le destin de la logique aristotélicienne et celui de l’Occident » (p. 12) ; l’introducteur en philosophie des « Oracles chaldaïques », cette Révélation ; l’une des racines de la théologie trinitaire ; enfin, l’un des chaînons de la transmission de la philosophie grecque au monde arabe, d’où elle nous reviendra.
Surtout, le long texte de G. Lardreau introduit le lecteur au cœur de ce qui a été le problème fondamental du néo-platonisme, « celui de tenir, à la fois, l’absolue transcendance de l’un (sans quoi il ne serait pas un), et sa radicale immanence au multiple (sans quoi il n’y aurait pas de multiple) » (p. 15). Question qui traverse toute la métaphysique ; et à lire G. Lardreau, on retire l’impression que c’est encore aujourd’hui une question ouverte.