Vient de paraître, décembre 2004, par Sylvie Courtine-Denamy

Dédié à Daniel Arasse, qui n’a pas eu le temps de le lire, placé sous le signe du premier receuil de Kafka, Regards, mais également sous celui de Lacan – Gérard Wacjman est aussi psychanalyste –, ce livre invite moins à une promenade dans l’histoire de l’art et de la littérature sur le thème des fenêtres, qu’à prendre au pied de la lettre la notion de « vision du monde ». Aller à la fenêtre, c’est en effet une façon de nouer un lien avec le monde, de le penser, l’hypothèse de départ étant que la subjectivité moderne est structurée par la fenêtre, celle dessinée à la Renaissance par Alberti, peintre autant qu’architecte, qui fit du tableau le prototype de la fenêtre: la fenêtre comme scène primitive de la peinture, le regard synonyme d’ouverture, l’association du geste d’ouvrir et de peindre, la naissance du spectateur. Une telle définition met un terme au mythe fondateur de la peinture, selon lequel Dibutade traça sur une paroi l’ombre du corps de son amant en partance. Mais comment voir sans être vu, sans être soi-même transformé en objet sous le regard de l’Autre ? Ce prodige, c’est la fenêtre du studiolo, petit bureau, du duc de Montefeltro dans son palais d’Urbino, qui l’accomplit: la lucarne étroite et haute, si elle interdit tout usage optique pour le regard, si elle consacre ce lieu d’intimité et de retraite, laisse néanmoins filtrer un rai de lumière suffisant pour permettre de distinguer, entre autres trompe-l’oeil, une fausse fenêtre, lieu stratégique du pouvoir du prince sur ses sujets aux yeux desquels il est lui-même soustrait. Comment ne pas rapprocher ce prince de la Renaissance du dispositif de la psychanalyse tel que l’a fixé Freud, où le thérapeute s’asseoit derrière le divan de manière à voir sans être vu ?