Vient de paraître, juin 2005, par Louise Lambrichs

Poursuivant sa réflexion sur l’espace – les façons diverses qu’a l’homme de le percevoir tout autant que ses façons diverses de le structurer (par l’architecture) ou de le donner à voir (dans la peinture) Gérard Wajcman invite le lecteur, au cours d’une longue digression/méditation sur le thème de la « fenêtre », dans l’aventure du regard qui traduit, aussi, le rapport que l’homme entretient avec le monde. « Et si la subjectivité était structurée comme une fenêtre ? » s’interroge-t-il. Mais « pas n’importe laquelle – ajoute-t-il : la fenêtre de la peinture, la fenêtre du tableau, exactement, celle inventée par Alberti ». Le tableau qui prend naissance au moment où l’artiste, rompant avec l’art de la fresque fondue dans la pierre et comme sans limites, en circonscrit l’espace en en dessinant le cadre, le cadre de la fenêtre qui ouvrira sur le monde et le découpera pour permettre de le voir tout en le masquant Tableau/fenêtre, ouverture/écran, précipice/rempart, telle est la fenêtre à laquelle s’accoude l’homme contemporain, fenêtre qui lui donne accès au monde tout en l’en protégeant, qui lui permet de voir sans être regardé. Au terme d’un long périple où Wajcman revisite, à l’aune de son thème, une histoire de la peinture qui, tout en réinventant le monde réinvente le regard et, par là, le rapport que l’homme entretient avec le monde – puisque c’est la vision ici qui définit l’approche sensible –, la fenêtre en vient, selon lui, à délimiter aussi l’espace de l’intime et à le structurer. « Une nouvelle subjectivité s’est instaurée à la Renaissance. Celle d’un homme qui regarde à sa fenêtre », conclut-il. Mais que regarde-t-il ? Non pas son image, comme dans un miroir, mais le monde dont il attend un signe « qui l’appelle parmi les vivants, que du monde un regard le retienne de basculer par la fenêtre dans le monde ». Diviser l’espace, comme le fait la fenêtre, c’est aussi l’ouvrir sur le monde, que chaque homme contient tout entier. Ainsi la division de l’espace que réalise la fenêtre est à l’image de la division intérieure de tout sujet, être de désir en débat intérieur et extérieur avec le monde et dont il est, aussi, l’objet. En ce lieu de l’ambivalence primaire dont tout un chacun est le jouet, « la vie demande qu’on prenne parti. Elle réclame de faire ce choix auquel Kafka invite l’homme à la fenêtre : Dans le combat entre toi et le monde, seconde le monde ». Pour sortir des jeux de miroirs et des spectacles en abyme dont notre monde nous fait trop souvent les jouets, Wajcman nous propose finalement, au-delà de ces « chroniques du regard et de l’intime », plus qu’une esthétique qui n’aurait d’autre fin qu’elle-même : une philosophie de l’art comme métaphore de la subjectivité.