La Croix, 17 mai 2001, par Solenn de Royer

Son dernier roman, lente et contemplative psalmodie de l’absence – L’Éducation de la poussière (Seuil, 2000) –, évoquait le destin brisé d’une mère dont le fils avait été fauché par une mort brutale, alors qu’il n’avait que 20 ans. C’est du même deuil et de la même incapacité de vivre qui s’ensuit dont elle parle encore. Seule la forme a changé : abandonnant le roman, l’écrivain emprunte ici aux registres du théâtre, mais aussi de la poésie. Le récit s’articule autour d’une « déploration à quatre voix » : « la jeunesse », d’abord, qui incarne le passé (heureux) de la mère, « la mère » elle-même, qui pleure la mort de sn fils « Victor » et crie vers « le spectre », son propre père – lui aussi décédé –, figure de l’au-delà et de la Création.
À travers chacun des personnages qui constituent cette Autobiographie, trois temps entrent en dialogue : « la jeunesse », ses insouciances et ses promesses, son insolence aussi, se heurtent au deuil radical, inacceptable ; lequel réduit à néant le passé, mais aussi le futur, brisant la linéarité de l’existence et la laissant captive d’un « présent éternel ». Pour « la mère », le temps s’est en effet arrêté un 24 octobre 1993, un dimanche à 5 heures de l’« après-midi, alors que son fils sautait maladroitement d’un train et était happé par lui. Un faux pas, un instant, qui suffirent à réduire deux vies en poussière, celle de l’enfant mais aussi celle de la mère : « Quand il est mort, il est devenu toute ma vie et elle est partie avec lui. » Parce qu’elle ne parvient pas à se sauver elle-même, la femme brisée va alors se tourner vers le père (le Père ?), seul et ultime recours, pour lui crier le De Profundis : « viens à mon aide »…
Avec cette Autobiographie articulée dans la lutte – le conflit intime, la vie et la mort, l’impossible réconciliation entre les certitudes passées et la souffrance présente –, Natacha Michel est au plus près d’elle-même. Avec la même force et la même justesse, l’écrivain livre ici des pages d’une humanité tremblante – en rupture, en quête –, si profondément vraies… Des pages remarquables.