Hamodia (édition internationale en français), 11 février 2009, par Yehuda Rück

C’est avec émotion et admiration que nous accueillons la parution aux éditions Verdier d’un ouvrage intitulé La Divine Insouciance. Première œuvre de René Lévy, le fils aîné de Benny Lévy zal, elle est le fruit de son doctorat de philosophie sur la question de la providence divine dans le très fameux Guide des égarés de Maïmonide.

Soutenue à Paris à l’automne 2006 devant les professeurs Pierre Thillet, Michel Fichant et Gérard Nahon, cette thèse fut récompensée par la très distinguée « Mention très honorable avec les félicitations du jury. »
Talmudiste, directeur scientifique de la collection « Les Dix paroles » des éditions Verdier depuis la disparition de Charles Mopsik, mais aussi de l’Institut d’Études lévinassiennes (fondé en 2000 à Jérusalem par Benny Lévy, Alain Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy), René Lévy nous livre là un travail remarquable et un regard neuf sur la pensée de Maïmonide.
D’un point de vue historique tout d’abord, parce que le traitement des sources y est systématique, et non – comme trop souvent – partiel : sources philosophiques et scientifiques grecques, arabes et juives ; sources théologiques, notamment le Kalam ; sources hébraïques (Bible, Talmud et Midrach), jamais l’œuvre du Rambam n’avait été analysée de cette manière en langue française.
Par ailleurs et d’un point de vue théorique cette fois, parce que la pensée de Maïmonide n’a jamais, à ce jour, été abordée sous l’angle de la Providence, laquelle constitue pourtant le but ultime de sa méditation.
On ne retiendra ici – dans le cadre de cette présentation – que trois des questions fondamentales traitées par René Lévy dans son étude du Guide des égarés : celle de l’existence du mal dans le monde qui conduit à la négation d’un D.ieu providentiel ; celle de la transcendance de D.ieu dont dépend le sens de la causalité divine – D.ieu peut-il être la cause des détails les plus infimes du monde, alors qu’Il en est absolument séparé ? ; et la troisième, la difficile question de la providence divine proportionnelle à « l’intelligence humaine » (sic) qui pose le problème de l’inégalité des hommes devant D.ieu, une notion a priori incompatible avec l’idée d’une Justice divine devant laquelle tous les hommes sont égaux…

Penser la Émouna

D’aucuns se poseront la question de savoir en quoi ces recherches savantes sur la pensée du Rambam nous concernent aujourd’hui… La réponse est simple : les réflexions philosophiques de Maïmonide, comme celles d’autres penseurs de notre tradition – que l’on pense seulement au rav ’Hesdaï Crescas ou au rav Méïr Ibn Gabbay – n’ont jamais été présentées au public de manière systématique. Or, celles-ci sont fondamentales dans la mesure où elles contiennent les fondements incontournables d’une analyse sérieuse – et à plus forte raison d’un enseignement – de la Émouna (la foi). À ce propos, il nous semble que La Divine Insouciance doit nous permettre d’éviter au moins deux attitudes hélas trop fréquentes à l’approche du Guide des égarés.
La première en effet est celle qui consiste à rejeter dans une sorte de « préhistoire » de la pensée juive une œuvre qui, parce qu’elle prendrait certaines de ses racines dans des philosophies étrangères à notre tradition (que ce soient les textes grecs – Aristote bien entendu –, mais aussi Alexandre d’Aphrodise, ou bien les textes des grands philosophes arabes auxquels Maïmonide fait si souvent référence) ne trouve pas l’écho qu’elle devrait recevoir dans le monde classique de l’étude.
À celle-là, le livre de René Lévy montrera ce qui fait la fécondité et l’originalité d’une doctrine juive – en l’occurrence ici, celle de la providence – avant qu’elle ne se retrouve, pour ainsi dire, fixée sous les aspects d’un credo.
Mais inversement aussi, à une seconde attitude qui affirmerait trop rapidement la nécessité de s’ouvrir à l’universel des nations sans prendre vraiment la mesure des enjeux de ce qu’une telle « extériorité » signifie, La Divine Insouciance répondra en dévoilant au cœur même de l’œuvre du Guide, les luttes véritables menées par Maïmonide contre les grands courants philosophiques et théologiques de son époque afin de définir le plus justement possible les grands principes de sa pensée en accord avec la stricte orthodoxie juive.
Double exigence qui fait du livre de René Lévy un ouvrage incontournable au cœur d’une période où, bien que les grandes thématiques de la pensée juive trouvent de plus en plus d’orateurs et d’oreilles chez le public français, il est urgent d’apprendre à les penser…