Le Magazine littéraire, mars 2007, par Jean-Yves Masson

Un résistant

Benjamin Fondane, un petit frère de Rimbaud

Colère, je t’ai appelée aux heures de soufre et de feu
quand toute terre tremble !
Qui t’a peuplée, ivresse, d’anges rugueux et creux
quand toute terre tremble ?

Les hommes ont mûri aux lourds soleils de paix
la terre a accouché de larves et de monstres
et la Pitié n’a plus de chemise, elle crie
la Soif va‑t‑elle encore écheveler les sources
quand toute terre tremble ?

Benjamin Fondane (1898-1944) (L’Exode, XI)

Avant d’être déporté à Auschwitz fin mai 1944, Benjamin Fondane avait pu faire parvenir à sa femme depuis le camp de Drancy une lettre dans laquelle il demandait à ce que fussent réunis, sous le titre Le Mal des fantômes, ses cinq livres de poésie en langue française. Il aura fallu plus de soixante ans pour que son vœu se réalise, grâce aux éditions Verdier et aux efforts conjugués de Michel Carassou et Patrice Beray. Dans un bel essai qui paraît simultanément, Patrice Beray propose un parcours d’ensemble de l’œuvre multiforme de Fondane, depuis son adhésion au dadaïsme jusqu’à la période des écrits philosophiques des années 1930 élaborés sous l’influence, notamment, de Léon Chestov. Tour à tour critique littéraire (son livre sur Rimbaud le voyou n’a jamais cessé d’être lu depuis 1933), cinéaste expérimental, critique d’art, Fondane est d’abord un poète, l’un des plus grands parmi ceux que la Roumanie a donnés à la langue française tout au long du XXe siècle.
Il est né à Jassy en Moldavie, en 1898. De son vrai nom Benjamin Wechsler, issu d’une famille d’intellectuels juifs, il choisit le pseudonyme de Fondane à 14 ans. À Bucarest en 1919, il entre en contact avec toute l’avant-garde, puis part pour Paris en 1923 et commence à écrire en français en 1925. Il devient Benjamin Fondane : troisième naissance. Il se lance alors dans la rédaction d’une série d’essais qui sont dans une étroite correspondance avec sa poésie. Celle-ci est toutefois irréductible à quelque théorie que ce soit. Puissamment concrète mais pétrie de mysticisme, elle navigue entre le psaume et l’épopée.
Les poèmes de Fondane sont un acte de résistance à la violence de l’époque. Son grand lyrisme brasse les images fiévreuses d’un destin malmené par l’Histoire : Titanic, Ulysse, Le Mal des fantômes, L’Exode, conjuguent exemplairement la forme fragmentaire et la continuité du souffle épique.
Fondane, cet Ulysse juif, ce petit frère de Rimbaud qui cherche le moyen de ne pas sombrer dans le silence tout en vivant le même ardent désir de fuite, commence à révéler son vrai visage. Pas de doute : son temps est venu.