Libération, 2 mai 1996, par Marc Ragon
L’amour est enfant de Socrate
Auteur d’une traduction critique des Premiers Principes de Damascius, Marie-Claire Galpérine fait entendre autrement la parole de Socrate quand, dans le texte du Banquet, il expose sa propre version de la naissance d’Éros. Socrate rappelle que Métis est l’aïeule d’Éros. « Grande divinité primordiale, fille d’0céan, Métis apparaît à l’origine du monde comme la pensée première. Elle est féminine. Et elle est ruse. » C’est à elle qu’Éros doit d’être « sans cesse en train de tramer quelque ruse » pour se procurer ce qu’il désire. Mais l’Amour ne peut jamais retenir ce qu’il obtient. En cela il est mortel, et ce désireux de la sagesse et de la beauté n’a donc rien d’un dieu – « l’autosuffisance divine exclut l’amour ». Au contraire, « Platon a fait de l’amour le symbole de la condition humaine dans sa dualité essentielle. Interprétant le mythe, Plotin dira de l’amant de la sagesse qu’il ne la chercherait pas s’il ne l’avait déjà trouvée ». Dans les pages suivantes, Marie-Claire Galpérine se révélera toujours plus attentive à la cohérence qui rattache le Banquet à la démarche mystique en général, et en particulier à l’œuvre du grand néoplatonicien que fut Plotin. Une lecture à laquelle l’helléniste Pierre Hadot sera sensible, puisque c’est aussi dans ce sens que le professeur au Collège de France renouvelle depuis des décennies notre compréhension du platonisme.