Marianne, 6 mai 2006, par Maurice Szafran

Combat laïc

C’est un livre d’outre-tombe, d’outre-voix. L’un des auteurs, Benny Lévy, est mort. À Jérusalem, en 2003. Et pourtant persiste dans l’intelligentsia française un mystère Benny Lévy ou, plutôt, une inquiétude Benny Lévy, comme une légende sans cesse renaissante. Le juif égyptien apatride, le chef tout-puissant de la Gauche prolétarienne, cette impasse maoïste du gauchisme français. C’est à cet ultime point d’intersection que Benny Lévy a croisé Alain Finkielkraut. Étrange rencontre qui débouche sur un dialogue roboratif et d’une foncière intelligence, Le Livre et les livres, une joute autour de la laïcité. Depuis vingt ans, Finkielkraut se bat pour une conception radicale de la laïcité, de l’école républicaine, même sil est sûr d’avoir perdu le combat, l’école produisant désormais « à la chaîne des ignorants sympas ». Dans ce journal, nous n’avons cessé de soutenir Finkielkraut à propos de la sauvegarde de l’éducation, nous avons approuvé son refus du nivellement éducatif par le bas et par le délire pédagogisant.
Voilà pourquoi le débat avec Benny Lévy nous semblait paradoxal, à la lisière de l’inutile, tant les deux positions apparaissent inconciliables. Dans son ultime cheminement idéologico-religieux, Benny Lévy ne pouvait qu’abhorrer la laïcité à la française, cette décision politique de la ranger bien sur le côté dès qu’on veut lui faire envahir l’espace public. La laïcité, selon lui, c’est une rupture parricide, « une séparation entre l’homme et la parole originelle ». La loi vient de plus haut. Condamnation sans nuance. Contradiction en apparence insurmontable avec la conception quasi « laïcarde » de Finkielkraut. Autour de la laïcité, il a construit une part essentielle de sa pensée, son engagement public s’organise en grande partie, en défense de cette laïcité menacée, écartelée. Deux « lignes » vraiment antagonistes ? Oui, mais pas seulement. C’est tout l’intérêt de ce dialogue.