Vient de paraître, juin 2006, par Guy Samama
Ce livre d’entretiens entre deux hommes de livres, anciens normaliens et anciens maoïstes, est foisonnant et nous renseigne sur notre propre identité. Il a pour objets la culture, la laïcité, la modernité, l’Europe. Il se place sous l’égide d’un homme du Livre, Lévinas, penseur-passeur qui à la fois les unit et les sépare ; il les unit car, pour tous deux, le judaïsme c’est l’étude ; il les sépare dans la définition de l’universel, de l’humain et de son articulation à l’histoire. L’un y lit l’exigence du Retour, l’autre un enjuivement de la philosophie. À l’idée pieuse de la laïcité chez le philosophe, au sens où rien n’est écrit, fait face la piété juive orthodoxe de Benny Lévy, à l’être mélancolique du premier répond l’être programmatique du deuxième. L’un est dans le regret (Finkielkraut), l’autre dans le volontarisme de l’engagement politique, où il aperçoit de l’absolu et de la croyance (Lévy). Au sentiment tragique du « trop tard » chez le philosophe, Lévy répond : « Ouvre les Prophètes, quand tu as ce sentiment-là, ouvre les Livres des prophètes ! » L’un, décrivant ces déshérités que nous serions devenus, doute de tout, l’autre est sûr de la Torah. Deux manières différentes aussi de se rapporter à la France : pour Lévy, la France, ce n’est pas celle du sol, c’est celle du livre, et ce n’est pas Foucault qui a compté pour la vérité, c’est Sartre. Celui-ci l’a fait français. Aux yeux de Finkielkraut, c’est l’école qui a fait qu’il est « autre chose qu’un Juif polonais né en France », et il refuse « le cabotinage de l’authenticité, la fidélité prise au piège de l’imposture ». C’est ce qu’il dénonce à travers la figure du juif imaginaire. Différence de sensibilité aussi par rapport au politique : pour l’un, le politique est un Pasteur des hommes, dans le sillage de Platon, alors que pour l’autre (Finkielkraut), l’on a tué le Pasteur, l’on a tué Moïse, et nous sommes entrés dans l’ « empire du rien ». Le livre se termine par le Retour. « Rien ne me manque », dit Lévy, installé dans le jardin d’Éden de Jérusalem. Or, le paradoxe tragique de l’histoire, c’est qu’elle a substitué le départ sans retour au Retour, faisant que désormais nous manque celui à qui rien ne manque : Benny Lévy.