Études, juin 1991, par Guy Petitdemange
En dépit des remous suscités par l’interview de 1980, B. Lévy persévère. Sartre le vieillard n’y est pas vieux, il est, au contraire, au commencement. Dans l’interview, B. Lévy peut paraître agressif ; ici, deux textes, en introduction et pour conclure, donnent à Sartre toute sa stature, celle qu’il a toujours eue pour B. Lévy et qui autorise la question. Comme dans Le Nom de l’homme, B. Lévy fait crédit à Sartre de chacun de ses mots : philosophie, littérature, critique, slogans ; jamais B. Lévy ne prend Sartre à la légère, même s’il connaît, comme on le voit dans le Talmud, les acrobaties et apparentes entourloupettes du maître. Chose rare, Sartre est pris à sa lettre et celle-ci jamais n’est lettre mondaine. Mais B. Lévy n’est pas bavard. Ses textes, trop elliptiques, laissent cependant entendre une voix fondamentale : une éthique, proche de Kant, mais plus singularisante, ouvre d’emblée sur le transhistorique, parce que tout acte libre, l’engagement, implique l’espoir, espoir illimité, qui par delà l’un du politique, ouvrirait sur le jugement, le messie, la résurrection des morts, une eschatologie donc, la destination totale de l’homme. B. Lévy ne « récupère » rien, il laisse Sartre à lui-même, respectueusement, mais il l’accueille avec une extraordinaire qualité d’écouteur et de lecteur. Autant que document historique, ce texte est la preuve même de la fécondité du dialogue entre parties adverses qui, au lieu de se confiner sur elles-mêmes, engagent audacieusement la parole. Avec le monument que sont les deux numéros des Temps modernes consacrés à Sartre (oct.-nov. 1990, 1 434 p.), ce petit livre fait entrevoir la qualité de l’intellectuel non prêcheur, s’égarant peut-être, mais sans vérité de surplomb. Un Sartre à redécouvrir, frôlé par le judaïsme (et le christianisme), un Sartre acculé mais foncièrement honnête, se faisant honnête dans et par la parole. B. Lévy dit une amitié, un respect, une question devenue commune. Ce n’est pas si courant.