Livres hebdo, 21 mars 2003, par Jean-Maurice de Montremy
Comment en parler ?
[…] Jacques-Alain Miller, avec son Neveu de Lacan (Verdier), ne s’embarrasse donc pas de précautions. Gendre de l’illustre psychanalyste, universitaire, partie prenante du débat et du « pouvoir », il prend prétexte du livre de Daniel Lindenberg pour analyser l’émoi suscité par Les Nouveaux Réactionnaires. Il en découd avec l’ancienne mouvance communiste (Lindenberg, jadis, fut de cette école). Il taquine la revue Esprit, Pierre Rosanvallon et quelques autres. Vieux complice de Jean-Claude Milner, il en profite aussi pour s’amuser, déployant le grand art de l’exercice de style. Le Neveu de Lacan se présente dans la tradition du dix-huitième siècle finissant. La critique de Daniel Lindenberg fait l’objet d’un prélude d’une cinquantaine de pages : « Notice sur la vie et les travaux de Lindenberg Daniel fameux pamphlétaire français », attribuée à Clément Delassol-Lunaquet, secrétaire perpétuel de l’« Académie des sciences immorales apolitiques ». Le canular s’accompagne de pastiches et d’autopastiches lacaniens, assez réjouissants. On passe ensuite au Neveu de Lacan, proprement dit, dialogue imité de Diderot, qui fait voyager le lecteur dans la plupart des idées contemporaines, avec ce qu’il faut de paradoxes et de mauvaise foi. Mais ces virtuosités ne doivent pas dissimuler des intuitions fortes. Suit enfin, sur plus de 250 pages, Le Journal d’Eusèbe, tenu du 21 novembre 2002 jusqu’au 13 février 2003 : Jacques-Alain Miller y commente avec brio l’actualité politique et intellectuelle. Narcissique à ses heures, injuste bien sûr, admirablement cultivé, il recadre les débats, situe les idées, esquinte… et ouvre aussi des territoires inexplorés. Le style reste, en fin de compte, le meilleur instrument pour l’histoire immédiate des intellectuels.