Revue de théologie et de philosophie, nº 123, 1991, par Pierre-Yves Ruff
Que Merleau-Ponty soit l’un des penseurs les plus importants du XXe siècle, cela ne fait pas de doute. Que sa pensée ait été par trop occultée, ne recevant pas la place que cependant elle méritait, c’est un fait. Qu’il soit d’autant plus important d’effectuer un retour sur ses écrits, aisément on le déduira.
Pour relire Merleau-Ponty, nul doute que cet ouvrage nous aidera. Le texte, dense, riche, de la conférence du 23 novembre 1946 devant la Société française de Philosophie déploie bon nombre de ses problématiques majeures. S’y problématisent les thèses de la Gestaltpsychologie, de la philosophie, à partir d’un ancrage radicalement phénoménologique. S’y reflète son travail si profond en vue de penser en termes nouveaux l’être au monde, pour poser à partir de cet être la question même de ce monde, de l’altérité, de Dieu, de l’immanence et de la transcendance. Au principe de l’être au monde, se trouve ce paradoxe de la situation d’une conscience qui perçoit « quelque chose » sur l’horizon qu’est pour elle le monde ; parallèlement, à l’origine des relations, un « je » expérimente la perception d’autrui sur un horizon d’altérité. L’échange naît de cette rencontre entre immanence et transcendance, qui est aussi source de l’éthique : « la perception d’autrui fonde la moralité en réalisant le paradoxe d’un alter ego, d’une situation commune », écrit Merleau-Ponty (p. 70). Et : « il y a du sens. Simplement la rationalité n’est garantie ni comme totale, ni comme immédiate. Elle est en quelque sorte ouverte, c’est-à-dire menacée » (p. 63). On pourrait méditer des journées entières de telles paroles.
Précèdent des traces de ses travaux, de ses projets ; suit un débat étrange. On y voit l’auteur, magistral, dominer les attaques virulentes, souvent perverses, des membres de la vénérable Société. Des questions posées, une seule aurait mérité qu’on s’y arrête, qu’on s’y attarde : celle du choix d’une phénoménologie, entre Husserl et Heidegger. On aurait aimé lire la position de Merleau-Ponty face à la proposition d’un tel choix. La question restera sans réponse : aussitôt, elle est interrompue par le responsable du débat, M. Parodi [sic].
Outre une introduction remarquable à l’œuvre de Merleau-Ponty, ce livre est donc un document sociologique des plus éloquents, quant au petit monde de l’académisme philosophique, néo-positiviste, de l’époque. Il s’agit d’un ouvrage à lire, à recommander, d’un livre qui devrait figurer dans le fonds d’ouvrages utilisables et utilisés, partout où il s’agit d’initier à l’histoire de la philosophie et à la pensée moderne, notamment dans les classes terminales des collèges, ou encore à l’Université.