24 heures, 25 septembre 2013, par Jean-Louis Kuffer
À La Claire Fontaine, David Bosc signe un roman admirable
Le livre du Lausannois d’adoption est un pur joyau sur la première liste du Goncourt.
Le grand art est parfois le plus bref, et telle est la première qualité de ce formidable petit livre : en à peine plus de 100 pages, David Bosc, quadra né à Carcassonne et Lausannois d’adoption (collaborateur d’édition chez Noir sur Blanc), concentre l’essentiel d’une destinée rocambolesque et d’une œuvre profuse qui ont déjà suscité moult gloses contradictoires. Or David Bosc fait mieux que de rivaliser avec les spécialistes : il y va de son seul verbe aigu, précis, charnel, sensible et pénétrant. Ce qui ne l’empêche pas de connaître son sujet à fond. Qu’il focalise certes sur les dernières années, du début de l’exil au bord du Léman (1874) à la mort du peintre (1877), mais avec de multiples retours : sur l’enfance à Ornans, la bohème et la gloire parisienne, la tragédie de la Commune et les « emmerdements » qui collent au cul de l’artiste révolutionnaire avec le remboursement de la colonne Vendôme renversée que l’État exige de lui.
« Dès qu’il eut du poil au menton, les couilles en place et un bâton de marche, Courbet s’est avancé au milieu des vivants sans reconnaître à quiconque de pouvoir le toiser », écrit David Bosc. Communard, ami de Proudhon, il n’est d’ailleurs pas tant de ceux qui demandent la liberté comme un dû gratuit, mais voient en elle un devoir personnel à remplir. En Suisse, les agents et autres autorités qu’il taxe, ivre, de « chenoilles », font rapport parce qu’il se baigne à poil à minuit, mais l’exilé y trouvera généralement bon accueil (il fait partie de la chorale de Vevey et prise les fêtes de gymnastique) et se montrera plus que reconnaissant. Après sa mort rabelaisienne, son ventre « comme un évent de baleine » mis en perce, on découvrira le dénuement dans lequel vivait ce grand vivant généreux en diable dont les coups d’épate n’étaient que pour la galerie.
Côté peinture, secondé par quelques compères, Courbet peint en ces années des paysages à tour de bras, et du meilleur au pire. Le public parisien vomissait les pieds sales de ses femmes peintes et son ex-ami Baudelaire a décrié son réalisme noir, mais David Bosc relève qu’« il touche au miracle quand il descend dans le labyrinthe, quand il accepte de se mettre au pouvoir de la chose, de prêter le flanc à son mystère : en de tels moments, Courbet se laissait peindre par le lac en couleurs d’eau, en reflets d’or, il se faisait cracher le portrait par la forêt, barbouiller par la bête, aquareller par le vagin rose ».
L’apport majeur de La Claire Fontaine, à cet égard, est de situer le réalisme poétique de Courbet par rapport à Rembrandt ou Millet, notamment, en désignant ce qu’on pourrait dire son noyau secret : « Courbet plongeait son visage dans la nature, les yeux, les lèvres, le nez, les deux mains, au risque de s’égarer, peut-être, au risque surtout d’être ébloui, ravi, soulevé, délivré de lui-même, arraché à son isolement de créature et projeté, dispersé, incorporé au Grand Tout ».