Bulletin critique du livre français, décembre 1998
L’audace est-elle de s’engager sur des voies difficiles ? Emmanuel Lévinas s’interroge lui-même sur l’audace du retour dans le temps de l’histoire universelle et du lien « où se consume proprement ce qu’il convient d’appeler la philosophie occidentale ». C’est ainsi toute la propédeutique à une philosophie qui s’étend vers la lettre de l’Écriture, ce vieux discours, naguère interrompu, autour des Écritures et des traités pour y percevoir à nouveau l’appel à la mission des hommes. Il y a d’abord le non-lien de la souffrance et de la déréliction, puis la suspicion d’idéologie qui pèse sur notre philosophie. Il importe de « reconnaître que le Réel est raisonnable et que seul le Raisonnable est réel ». Il y a un au-delà de cette philosophie. Nous revendiquons la compréhension ultime, en recherchant des raisons qui ont commencé avec la philosophie. E. Lévinas dit très bien : « On déchiffre dans le visage la Parole de Dieu. » C’est encore de la philosophie. Tel est le programme d’E. Lévinas. La philosophie est bien une pensée suggérée par les textes, Écritures et commentaires, mais cette pensée s’énonce indépendamment de l’autorité de l’Écriture. La transcendance peut être pensée philosophiquement, c’est-à-dire indépendamment de l’autorité de cette Écriture. La philosophie est donc pour Lévinas arrachée à sa définition, surprenant le logos grec. Nous nous éloignons du postulat qui considère « le savoir comme relation de l’âme avec l’Absolu ». La question suivante se pose alors : quel est le sens de cette nécessité où se trouve le judaïsme de Lévinas de se produire comme logos ? Lévinas ne renonce pas à la philosophie, ni au nom même de cette philosophie. Il écrit magnifiquement : « Au langage, il faut que le philosophe revienne pour traduire – ne fût-ce qu’en les trahissant – le pur et l’indicible. »
Il reste à rechercher « le sens de cette nécessité de traduire – trahir – le nom innominé ». Telle est la vocation du philosophe. Sommes-nous des Grecs ? Sommes-nous des juifs ? Et finalement, qui nous ? Qu’en est-il du nous ? Cette question de l’universel trouve sa réponse dans l’œuvre lévinassienne. La pensée de Lévinas est une hénologie, c’est-à-dire qu’elle exprime le vouloir-dire, le Dieu inspiré de la philosophie grecque. La pensée détermine l’antériorité originelle de Dieu, l’un de l’au-delà de l’être… Thèse majeure d’E. Lévinas. Le mouvement de transcendance emporte l’œuvre lévinassienne et rappelle à l’ordre le retour qui désigne la pensée du Nom. Benny Lévy, fidèle à l’inspiration initiale de son maître en exprime la position, le chemin tracé de la transcendance de l’Absolu, c’est-à-dire de l’extériorité à nous. L’Absolu fait face. Le livre de B. Lévy est à ce jour la meilleure introduction en français à ce grand philosophe qu’est Lévinas.