La Liberté, 28 septembre 2013, par Thibaud Matinetti
Gustave Courbet en Suisse : l’ivresse de la liberté
Quelle fut la vie de Gustave Courbet lors de son exil en Suisse entre 1873 et 1877, date de sa mort ? Le roman de David Bosc, réfutant l’avis général selon lequel « Courbet ne peint plus rien de bon et se tue à force de boire », propose de reconstituer les dernières années de sa vie en mêlant documents authentiques et évocations poétiques. En 1870, sous la Commune, le grand peintre du réalisme propose de déboulonner la colonne Vendôme, symbole guerrier et impérialiste indigne de la République, pour la déplacer aux Invalides. En 1871 est votée la destruction du monument ; l’événement aura des conséquences dramatiques pour le peintre puisqu’il en sera tenu responsable deux ans plus tard. Courbet doit payer à l’État français la somme de trois cent mille francs et quelque afin de permettre la reconstruction de l’édifice. Ruiné et ne voulant pas retourner en prison, le peintre communard se met à l’abri en Suisse. Le récit de David Bosc peut alors commencer.
Séjournant à Neuchâtel, Genève, Nyon, Vevey ou encore Lausanne, c’est finalement à La Tour-de-Peilz que le peintre s’installe avant d’acheter Bonport, sa maison « sur le lac », où il mourra plus tard d’un kyste à la rate et d’une cirrhose du foie. Mais avant cela, la vie de Courbet est une grande fête où l’ivresse artistique côtoie celle procurée par le vin blanc : l’artiste en exil est prolifique, peint des dizaines de château de Chillon, le lac, les forêts, son Grand Panorama des Alpes laissé inachevé, et sculpte encore sa Liberté, « la Communarde », renommée Helvetia. Débordé par le trop grand nombre de commandes, il demande qu’on décrive sur le fond noir des toiles les éléments qu’il lui faudra peindre : « Qu’on imagine une pièce remplie de toiles noires, posées par terre contre les quatre murs. Des toiles noires portant à la craie des inscriptions : Montagne, Forêt, Pré au soleil avec vaches, chasseurs et chiens. »
Courbet n’avait pas de goût pour les grands mots, pour les grandes pensées, il « était de ceux qui ne trouvent aucun sens à dire qu’une bête est emplie de noblesse, qu’un arbre est majestueux, la forêt pareille à une cathédrale ». maladroit lorsqu’il s’agit d’évoquer la Nature, comme dans une certaine lettre de Victor Hugo où ne lui viennent « que des banalités », Courbet a besoin de ressentir ce qu’il appelle le « Grand Tout » : il « aimait les fleurs, les fruits, les femmes, les peaux de bêtes, les peaux de fruits, les peaux de femmes, les arbres immenses et la broussaille, le sang dans les plumes. » Plutôt que de chanter les grands espaces, il préférait les vivres.
L’auteur de L’Origine du monde est un ogre barbu et ventru, un bon vivant aux manières simples, « joyeux, drôle, soucieux de plaire sans doute », amateur « de gaudriole » et « de gauloiserie », toujours entouré de « familiers », allant du « petit-bourgeois » suisse à l’ancien communard. Courbet se révèle aussi sensible lorsqu’il retrouve son père Régis et sa sœur Juliette, ou lorsqu’il tombe amoureux d’Olga de Tallenay, amie d’un « sculpteur dont les œuvres autant que la personne savaient ébahi Courbet ». Sculpteur qui n’est nulle autre que Marcello, la duchesse de Castiglione-Colonna, née Adèle d’Afry, dont le peintre fit le portrait à Fribourg.
Retenu dans la première sélection du jury Goncourt, La Claire Fontaine est le récit d’une liberté éphémère, découverte durant les heures furieuses de la Commune lorsque Courbet s’exclamait : « Paris est un vrai paradis ! », et retrouvée au moment de l’exil en Suisse. D’un bout à l’autre de sa vie, « Courbet porte témoignage de la joie révolutionnaire, de la joie de l’homme qui se gouverne lui-même ». La plume de David Bosc sait nous rendre cette joie contagieuse. »