L’Humanité, 19 septembre 2013, par Alain Nicolas
Portrait de l’artiste en coucher de soleil
David Bosc fait des dernières années de Gustave Courbet, exilé en Suisse après la Commune, un moment de vie lumineuse plutôt que le crépuscule qu’on croit souvent y voir.
« Aujourd’hui, j’appartiens nettement, tous frais payés, à la classe des hommes qui sont morts. » Comment comprendre ce qu’écrivait, en 1873. Gustave Courbet, ancien communard, qui venait de tirer six mois à la prison Sainte-Pélagie, et qui s’apprêtait à passer en Suisse ? D’abord au sens propre. tel que le précise la suite de cette lettre : « … hommes qui sont morts, hommes de cœur, et dévoués sans intérêts égoïstes à la République et à l’égalité. « Affirmation politique : même s’il manifesta des désaccords avec la direction de la Commune, en particulier sur la question des otages, il en fut élu et responsable de la commission beaux-arts, et le resta jusqu’à la fin, même si sa notoriété le protégea des pelotons d’exécution. Au-delà de cette manifestation de solidarité, on peut lire – et on a souvent lu – ces phrases comme une anticipation d’une mort annoncée. Elle viendra, moins de quatre ans plus tard.
Il est une autre sorte de mort à quoi ces mots peuvent renvoyer. Les critiques d’art, en général, jugent sévèrement la période tardive du peintre de l’Enterrement à Ornans. Production surabondante, bâclée, banale à quelques belles toiles près, dictée par le besoin de livrer ce qu’il faudra pour payer une sorte de rançon : celle que lui inflige Mac-Mahon pour avoir abattu la colonne Vendôme. On sait qu’il en avait seulement suggéré le déplacement. Qu’importe. Les versaillais au pouvoir, non contents de l’avoir emprisonné, poursuivent de leur haine le seul artiste de renom à avoir pris une part active à la Commune. L’exil, la peinture à la chaîne signeraient la condamnation à mort de l’art de Courbet.
Ce n’est pas l’avis de David Bosc. La Claire Fontaine montre un grand gaillard alourdi, mais toujours passionnément amoureux de la vie et de l’art, s’immergeant dans la nature comme il couche avec ses modèles. Dans la vie comme en peinture, celui qui peignit les Trois Baigneuses et l’Origine du monde en reste à ce qu’il affichait dans son atelier parisien : « Fais ce que tu vois et ce que tu ressens. Fais ce que tu veux. » Une générosité qui va de pair avec sa haine de l’oppression, sa passion pour la liberté. On le voit abattant sa journée de travail, mais aussi cherchant des motifs, chantant avec les villageois dans une chorale, se baignant en novembre, pipe à la bouche.
La plume élégante et forte de David Bosc donne vie à ces dernières années de Courbet, et transfigure ce qui est souvent pris pour un crépuscule en un lumineux coucher de soleil.