Liberté hebdo, 3 janvier 2014, par Alphonse Cuvier
Courbet : une fête de la peinture et de la vie
Après l’écrasement de la Commune par les troupes versaillaises, Courbet est poursuivi par la haine officielle, la justice de Thiers et Mac Mahon : il doit assumer l’intégralité des frais de reconstruction de la colonne Vendôme, une somme colossale. L’artiste s’exile en Suisse, près de Vevey, sur les bords du lac Léman, où il vivra les quatre dernières années de sa vie. Ce séjour de proscrit, les historiens d’art l’ont négligé ou survolé. David Bosc l’évoque dans un roman lumineux et chatoyant. Il le dédie à un artiste, à un homme qui jamais n’abdique, ni se soumet, qui « témoigne de la joie révolutionnaire, de la joie de l’homme qui se gouverne lui-même » et qui saisit la vie à bras-le-corps : marches dans les bois, plongeons dans les rivières et lacs, bonne chère et vin blanc à satiété, présence dans les manifestations festives, table ouverte aux amis… Une façon de nier la maladie qui le ronge (cirrhose et hydropisie). Il le consacre dans un même mouvement à une peinture qui exalte les paysages, le corps des femmes, au travail (Les Cribleuses de blé, La Fileuse endormie) ou dans l’épanouissement de leur chair (La Femme à la vague).
Courbet se coltine à la peinture comme il le fait avec la vie : gourmandise, sensualité et générosité – « les peaux de bêtes, les peaux de fruits, les peaux de femmes, les arbres immenses et la broussaille… la terre odorante, la pluie, l’eau, les vagues… » Il les saisit et se délecte, sans fard, transparences et empâtements, nature et peinture en totale communion. L’écriture de David Bosc est au diapason : torrents d’images, débordements de sensations. Courbet n’est pas dupe de l’état de son corps et du corps social, ses natures mortes (les deux tableaux de sa « Truite » agonisante) ne sont pas silencieuses. Mais les espérances ne sont pas toujours déjà mortes et l’artiste quitte la vie le 31 décembre 1877 « sous un ciel que n’a pas terni la vapeur des grands massacres », un ciel de drapeau rouge.