Transfuge, novembre 2013, par Clémentine Baron

Portrait de l’artiste en vieil homme

La fin oubliée de Courbet, l’exil en Suisse, devient pour David Bosc le lieu d’une sensible évocation celle du peintre face à sa dernière passion, la nature.

Condamné à reconstruire la colonne à ses frais, poursuivi par la haine officielle, Courbet doit se réfugier en Suisse, où il meurt en 1877. » C’est à partir de cette succincte notice tirée d’un dictionnaire, que David Bosc développe son récit, étirant les quatre dernières années de la vie de Gustave Courbet en une évocation chatoyante d’une centaine de pages.

Après la Commune de Paris à laquelle il a pris une part active, le peintre doit s’exiler pour échapper au droit français et à sa dette dantesque, puisqu’on le tient responsable de la destruction de la colonne Vendôme. Il passe à La Tour-de-Peilz, près de Vevey, quatre années généralement occultées ou survolées par les biographes, une période de décrépitude accélérée par l’alcool. S’emparant de cet espace vierge, David Bosc comble le vide biographique avec toute la fantaisie qu’autorise le roman. Il choisit pour cela une plume exigeante, riche de métaphores (le peintre sur le départ, se retournant, « faisant se tordre l’écharpe bleue de sa pipe »).

Plutôt qu’une narration chronologique ou factuelle, l’auteur prend modèle sur son sujet. Il en dresse un portrait pictural, par petites touches de vie : Courbet peignant évidemment, mais surtout rabelaisien, prenant du bon temps, se promenant dans les sous-bois, plongeant à la moindre occasion dans le lac Léman. Il nageait dans les lacs, les rivières, les flaques, nous dit Bosc ; il nageait dans ses couleurs, bleu, noir, prasin ; il nageait enfin et surtout dans l’alcool, se tuant à boire et jusqu’à douze litres de vin blanc par jour.

C’est donc avant tout Courbet buvant et festoyant qui nous est présenté, sachant toujours s’entourer pour contrer une solitude intérieure dévorante presque autant que ses « emmerdements » financiers et sanitaires. Son régime conduit inéluctablement à la cirrhose, doublée d’une ascite, « cet épanchement qui fait enfler le péritoine jusqu’à l’aberration ». Le peintre, imposant déjà, s’est vu gonfler sur la fin, jusqu’à exploser littéralement. On doit ponctionner plusieurs dizaines de litres de son ventre percé « comme un évent de baleine ».

L’auteur ne s’attarde pas sur les aventures du corps de l’artiste. Il préfère ouvrir les portes de son atelier, évitant de s’émouvoir sur L’Origine du monde, recalée au rang de simple commande d’un bourgeois érotomane. Il aime mieux nous décrire, sans érudition mais avec précision et sensualité, les portraits de femmes, travaillant avec ardeur dans Les Cribleuses de blé ou lascives dans La Femme à la vague ou La Femme au perroquet, et les paysages, vues du Château de Chillon ou encore son Grand Panorama des Alpes, laissé inachevé.

De ces tableaux et de l’exaltation de Courbet pour la nature suisse, David Bosc souhaitait s’emparer, et s’épancher à son tour dans de bucoliques évocations de son pays d’adoption. Entre contemplation et liberté, La Claire Fontaine semble nous prouver qu’une terre d’exil peut être celle d’un retour aux sources.