DNA, 12 octobre 2013, par Serge Hartmann
Benny Lévy de Sartre à Moïse
Il fut quelque temps Strasbourgeois, abandonnant Paris pour s’installer avec sa petite famille dans la capitale alsacienne et y étudier la Torah. Il promènera sa frêle silhouette boulevard d’Anvers ou à l’Orangerie avec ses enfants, quand il n’est pas sollicité pour des conférences à Strasbourg ou ailleurs dans la région. La page de l’engagement maoïste, de la célébration de la Révolution Culturelle et de la Gauche Prolétarienne était décidément tournée. Plus tard, en 1997, celui qui autrefois avait pris pour pseudonyme militant Pierre Victor, quittera la France pour Jérusalem, assumant son judaïsme orthodoxe au sein même d’Israël, dans son lieu le plus sacré.
Il y fondera, avec l’actif soutien de Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut, l’Institut d’études lévinassiennes – Emmanuel Lévinas qui, dans les années 70, constitua pour lui, avec l’étude des textes de la Cabale, « un choc décisif » raconte Léo Lévy, sa femme.
Dans À la vie, elle fait à nouveau entendre la voix de Benny (1945-2003), et restitue sa trajectoire complexe. Celle d’une figure marquante du gauchisme, celle aussi d’une intelligence rare qui impressionna Sartre dont il devient le secrétaire jusqu’à sa mort, en 1980.
C’est le fil d’une vie que déroule Léo Lévy, avec la tendresse d’un amour demeuré intact. Celle de l’enfant juif, né au Caire puis chassé avec sa famille d’Égypte à la suite de la crise de Suez. Désormais apatride, de brillantes études qui le mèneront à l’École Normale Supérieure (et à de longs échanges avec Louis Althusser) ne changeront rien à ses multiples demandes de naturalisation, systématiquement rejetées.
Sans nul doute, Benny Lévy payait alors le prix de son engagement politique. C’est finalement grâce à l’intervention de son illustre employeur auprès du président Valéry Giscard d’Estaing qu’il obtiendra la nationalité française – à la suite de quoi, ce Giscard ne subira plus aucune critique d’un Sartre désormais reconnaissant.
Au-delà de son cheminement propre, aimanté par la question du judaïsme et le retour aux textes hébraïques anciens, à « la sagesse d’Israël », c’est aussi une spécificité du gauchisme français qui s’incarne en Benny Lévy. Celle du refus du terrorisme dans lequel sombrèrent les éléments les plus radicaux des extrémismes de gauche allemand et italien.
Entre Soljenitsyne et son Archipel du Goulag et l’expérience autogestionnaire de Lip, à Besançon, qui pose la question de légitimité d’une organisation politique au service des travailleurs – « On avait voulu se mettre au service du peuple ; ici le peuple se passait de nos services », observe finement Léo Lévy –, Benny Lévy appartient à cette frange de dirigeants pour laquelle le combat s’achève. Il ouvre, non sans mal, à l’autodissolution de la Gauche Prolétarienne. « Avec Lip, on a fini notre boulot. Ça nous permettait de sortir en beauté. Et c’est important parce que la sortie contraire, la sortie en laideur, c’est la sortie terroriste », analysera-t-il bien plus tard.
Sa sortie à lui, happé par un judaïsme de stricte observance, provoquera l’incompréhension d’un milieu où la religion relevait de « l’opium du peuple ». Parti pour Israël, pour cet ample territoire du judaïsme, Benny Lévy s’en expliquera sobrement : « On ne décide pas de partir, la décision s’impose à soi ».