La Montagne, 8 mai 2005, par Daniel Martin

Les petits mots des grandes maladies

Voilà peut-être le livre le plus étrange que l’on puisse trouver en librairie actuellement. Il est peu épais, composé de courts chapitres et, quand on pourrait craindre un exercice purement formel ou très intellectuel sur la maladie, il se révèle plein de vie(s) : celle de l’auteur et des nombreux malades cités pour l’exemple. Ce Précis de médecine imaginaire est un ouvrage singulier dans lequel chacun pourra se reconnaître ou se projeter d’autant plus facilement qu’il est souvent drôle et d’une écriture simple, limpide.

Composé en quatre parties et soixante-dix chapitres, environ, ce livre n’a pas pour objet de traiter des maladies telles qu’elles se présentent, mais telles qu’on se les représente. L’idée que l’on s’en fait et la valeur qu’on leur donne. Il est écrit au carrefour entre les naïvetés de l’enfance et le savoir du psychiatre qu’est devenu Emmanuel Venet. Une vocation dont il situe l’origine dans ces « récits jamais finis de maladie inguérissable » qu’il entendait tout gosse. Des mots étranges, des secrets étouffés qu’échangeaient les adultes dans leurs conversations, sa mère en premier.

Une femme qui cultivait une vraie passion pour les pathologies et, qu’en bonne connaisseuse, elle classait à sa façon. « Elle n’attribuait pas à toutes la même puissance symbolique. La cirrhose alcoolique, le cancer des fumeurs (…) ne représentaient jamais que la légitime sanction de vies déréglées. En revanche, les maladies qui abattent jeunes des êtres sans vice lui procuraient un délicieux vertige métaphysique (…). Comme si on mourait davantage de mourir tôt sans y être pour rien ».

Mais l’influence de cette femme ne s’arrête pas là. Par sa faute, son fils allait souffrir plus tard d’une névrose pianistique. Ce qui demande quelques explications. C’est parce qu’une arthrite a éloigné cette mère très tôt du clavier, en même temps que de Beethoven, de Mozart qu’elle affectionnait, que le fils s’est cru obligé de prendre sa place tout en se disant qu’il serait lui aussi un jour sujet à la même maladie très handicapante. Voilà pourquoi « Il (lui) est aussi impossible d’abandonner le piano que d’en jouer correctement ».

Bien d’autres personnages apparaissent dans ces pages, chacun apportant en même temps que ses symptômes, les mots qui l’accompagnent. Il y eut dans cette famille les accros de la cure thermale, des partisans de la tisane et des phobiques de la piqûre. Reviennent, ainsi avec le souvenir d’un temps passé, des sons, des odeurs et tout un vocabulaire tombé en quasi désuétude, le remède, les cachets ainsi que quelques accessoires, du bandage aux ampoules de fortifiants. « J’aimais leur amertume cachée sous un goût de liqueur, leur caractère d’apéritif sage qu’on peut se permettre d’oublier, mais plus que tout j’aimais la liturgie qu’elles organisaient : d’abord la petite scie en acier, l’air sérieux que prenait notre mère pour limer la première pointe. »

Emmanuel Venet parle de cette façon, à la fois tendre et ironique de pathologies communes ou extraordinaires. En professionnel, il s’étonne que certaines affections soient si mal définies comme le « malaise » toujours très vague. En amateur des mots, il se penche sur une des fautes les plus courantes, toujours ridiculisée. Celle qui fait dire infractus pour infarctus. L’erreur n’est pas où l’on pense et les rieurs ont peut-être tort. « Infractus existe en latin et signifie “brisé”. L’erreur commune témoigne donc d’une obscure intelligence de la langue, d’un lien instinctif à ses profondeurs ». Alors qu’infarctus « dérive du verbe infarcire qui signifier bourrer, farcir », manière de décrire des « coronaires bouchées », ce qui, « en toute rigueur, donne infartus au participe passé ». La faute n’est donc pas là où l’on croit mais le fait d’un chirurgien « plus doué pour le bistouri que pour la conjugaison ».