Le Crocodile, mars 2005, par Jacques Oudot

Emmanuel Venet, un cri d’amour

« Ne dites pas à ma mère que je suis écrivain ; elle me croit CDD dans un piano bar ! »
Il est écrivain né et n’ose encore le croire.
Son style (oui) est évident, immédiatement reconnaissable, comme sa voix.
Son écriture fait patte douce parce qu’elle se sait porteuse de germes pas beaux à voir, de vérités pas bonnes à dire.
C’est une écriture qui craint pour le lecteur.
Et c’est un peu le miracle de cette lecture plus qu’attachante, captivante, d’entendre un homme nous parler de nous en nous parlant si bien de lui.
Tout y est, l’humour, la prudence, l’obstination, la patience, l’audace, l’impertinence, et puis la mélodie du style, les rythmes et les césures, les ponctuations.
Ça parle d’un bout à l’autre de pathologie, inexorablement, et c’est construit en quatre parties, « comme une symphonie ».
D’abord une marche héroïque de maladies bizarres, 33 en comptant l’accouchement et la mort.
Suivent 10 exemples de pathologie ondulatoire, farfelus, surréalistes, et pourtant graves !
Vient alors l’extravagante relation de voyage d’un condamné au piano en perpétuelle représentation tauromachique contre toutes ces « sales bêtes ».
Et pour faire encore plus vrai, puisqu’il s’agit d’un précis de médecine, viennent une quinzaine de propositions parapharmaceutiques poétiques et souvent bouleversantes.
Qui est cet auteur lyonnais ? On pense à Laurence Sterne, irrésistiblement, à Georges Perec et aussi à Paul Léautaud, dans le dernier feuillet « hôpital » :
« Les derniers jours, un rictus effrayant déformait son visage. Par la force des choses je repensais à la Popette et j’avais peur de ce qu’il me serait donné de lire après coup. Elle mourut en octobre. Il y eut l’expression grave de mes futurs confrères lors de l’annonce officielle, Joseph à épauler, les formalités à accomplir. Le corps d’Emilie poursuivait loin de nos regards les étapes suivantes de son métabolisme pour réapparaître trois jours plus tard sur le parvis de la chapelle. Je me souviens d’avoir flageolé jusqu’au cercueil, terrifié par la perspective d’une dernière rencontre qui blesserait sa mémoire. Mais ma grand-mère était redevenue elle-même dans son écrin de capiton, sous l’effet d’une magie dont il vaut mieux ignorer les artifices. »
Et déjà le livre se referme. Le lecteur qui n’a jamais lu Portrait de Fleuve (« Le Chemin », Gallimard, 1991) vient de découvrir Emmanuel Venet, un véritable auteur dont on ne sort pas indemne. Déjà vient le premier symptôme d’une addiction nouvelle : « encore ! »