Le Figaro littéraire, 21 avril 2011, par Patrick Grainville

Un cabinet de curiosités

Michel Jullien. L’écrivain propose une succession de récits ironiques, fantasques et philosophiques.

Les différents récits de Michel Jullien télescopent toutes les époques, tous les pays. Ce sont des nouvelles, des documents, des fables, des chroniques, des contes ironiques, barbares, fantasques et philosophiques qui composent un cabinet de curiosités alléchantes. Xerxès commande qu’on fouette la mer qui vient de détruire un pont ! Un typographe se fait extraire un éclat d’obus dans les tranchées de 14-18 sans rien oublier du vocabulaire et des pratiques de son métier. Le lutteur Milon de Crotone meurt étranglé par un arbre et bouffé par des loups. Et Astylos, champion de course de vitesse, après avoir remporté deux Jeux olympiques, finit dans l’exil et la purée. Méfiez vous, les athlètes ! C’est parce qu’il évite toute gymnastique que l’ermite Siméon, au 5siècle, survit sur sa colonne pendant trente-six ans. Ascète encore, ce docteur Kellogg, nutritionniste et végétarien intégriste qui reçoit à sa table Sarah Bernhardt. Elle demande à Amundsen, autre convive, un autographe qu’il rédige et signe en morse ! Pourquoi Kathleen Ferrier tombe-t-elle en panne à la fin du Chant de la terre dirigé par Bruno Walter, juste au moment où il lui faut articuler pour la cinquième fois le mot ewig qui signifie « éternel » ? Pourquoi Amundsen réussit-il à planter le drapeau norvégien sur le pôle Sud un mois avant Robert Falcon Scott. dont l’expédition avorte dans une scène de boucherie chevaline ?

Perles rares

On ne sait quelle règle se fixe Michel Jullien pour trier ses perles rares dans l’océan de son savoir encyclopédique. Le pittoresque, l’incongru, la dérision humaine, les farces du destin prennent toujours un tour métaphysique à partir de considérations triviales et physiques. Car les tribulations du corps sont au centre de ces histoires sur les cycles de la puissance et de la déchéance. Sarah Bernhardt unijambiste donne lieu à un portrait à la loupe et époustouflant de ses moindres difformités. Borgnes, graveurs daltoniens tracassés. Corps torturés, brûlés, pendus ou dévorés par le scorbut… L’incendie de Londres vu à travers l’errance d’un horloger rouennais, pied-bot et mythomane est un chef-d’œuvre. L’histoire de Hanno, l’éléphant de Léon X, atteint un sommet de mélancolie comique.

L’écriture drue, abondante, inventive, truffée de détails savants et drôles contribue à la vigueur de cet assortiment de sagesse tonique.