Libération, 31 mars 2005, par Jean-Baptiste Harang

Vivement l’arthrite

Même fantaisistes, les maladies d’Emmanuel Venet ne guérissent pas avec des ventouses.

Le livre s’appelle Précis de médecine imaginaire pour la bonne raison que la médecine imaginaire est une affaire précise. Il eût été dommage de faire trente-cinq ans d’études de piano pour ne produire que des choses approximatives, et médecine, et une spécialité psychiatrique, et vingt ans de pratique. Le livre est si précis qu’il se décompose (non, il ne se décompose pas si vite, on a largement le temps de le lire) en quatre parties inégales, la première, « Vademecum de sémiologie médicale », recense trente-trois maladies (dites bien trente-trois en appuyant la partie concave d’une petite cuillère sur la langue) dans un ordre insoupçonné. La deuxième, « Premières esquisses d’un traité des ondes », expose en dix exemples cliniques les désordres de la raison engendrés par trop d’attention aux ondes maléfiques, qu’elles vous ordonnent de sauver la planète, qu’elles vous lèchent le clitoris avec une langue de dentiste ou vous conduisent à gifler toute personne responsable d’une faute de français. La troisième, « Névrose pianistique, quelques précisions », traite (si l’on peut dire, aucune guérison ne point à l’horizon) en dix chapitres de l’apprentissage du piano envisagé comme une corrida entre un matador pusillanime et un taureau laqué noir de plusieurs centaines de kilos, éructant et fumant, au pas de charge et dents d’ivoire, plus prompt à vous encorner qu’à accepter la moindre banderille.

Le docteur Venet se fait de la médecine une idée bien plus humaine que scientifique, bien plus nostalgique qu’efficace, plus rigolote que dramatique et bien désabusée pour un homme de l’art. Et, à la fin, on meurt, comme tout un chacun. Prenez les rhumatismes, au chapitre premier, la mère du narrateur souffre d’arthrite, celle de Bonnardier d’arthrose, elles ne s’en lassent pas : « Ma mère était suivie par le docteur Bert, tandis que la mère Bonnardier se faisait traiter par le docteur Caillaux. Le docteur Bert était un praticien consciencieux mais n’entendait pas grand-chose aux maladies, tandis que le docteur Caillaux exerçait avec rigueur une médecine inefficace. » Ou le saturnisme (« Sous ce nom splendide se cache une maladie médiocre, l’intoxication au plomb ») : Venet rappelle le cas rapporté par Primo Levi dans Le Système périodique, un original cherche le plomb comme d’autres l’or, « dans un Moyen Âge brumeux, l’homme sillonne l’Europe et tente de rallier ses contemporains au métal mou dont on fait facilement des tuyaux mortels et des cercueils étanches », et meurt bien avant l’heure, les lèvres bleuies. Ou l’hypocondrie, dont l’auteur se demande où diable est passé le « h » d’hypochondre, du grec khondros, « cartilage des côtes », qui désigne chacune des parties de l’abdomen, à droite et à gauche de l’épigastre, avant de décréter qu’ « on ne peut avoir plus d’un ami hypocondriaque sous peine de devenir fou soi-même » et de prendre pour exemple son ami Bernard Simeone, mort trop jeune mais guéri, à qui il a dédié ce livre. Nous n’avons pas en main le Larousse médical, mais c’est un bon début pour qui s’intéresse aux maladies intéressantes, comme la bilharziose : « Juxtapositions de consonnes peut-être uniques en français, le lh saute aux yeux et le rz claque aux oreilles : malgré son existence avérée, la bilharziose nous apparaît d’abord comme le fruit d’un exercice d’écriture somnambulique, une maladie abstraite pour ne pas dire une pure invention », n’empêche que ça s’attrape. La dernière maladie évoquée est la mort, une maladie mortelle, comme la vie. Le premier des remèdes proposés en fin d’ouvrage est le mépris, conseillé par le docteur Worms et l’antépénultième le temps recommandé par le docteur Caillaux qui soigne bien des maux. Si on est pressé on peut toujours se faire poser des ventouses. Emmanuel Venet prend son temps, son Précis de médecine imaginaire est son deuxième livre, le premier avait paru chez Gallimard en 1991, Portrait de fleuve. Un livre tous les quatorze ans, voilà un toubib qui n’abuse pas des ordonnances, qui va piano, c’est sa névrose et notre régal.