Santé mentale, mai 2006, par Nathalie Vergeron
Petit-fils d’un fabricant de billards à Saint-Étienne, fils d’un employé à la Caisse d’Épargne, Gaston Ferdière fait ses études de médecine à Lyon pour devenir neurologue. Mais « son utopisme libertaire ne le porte ni sur l’amidon ni sur le mandarinat » et passant pour un « astre du surréalisme dans les bistrots du centre », il imagine qu’il pourra concilier médecine et littérature. Après quatre années d’études et trois recueils, il change de voie pour devenir psychiatre et privilégier l’écoute sur l’examen. Dans les années trente, il se retrouve à Paris, à Villejuif, « c’est là qu’il rencontre le verbe déstructuré, grandiose et hermétique, des fous » et s’imprègne de la poésie naturelle de l’asile. Poète chez les psychiatres, psychiatre chez les poètes, il rencontre Robert Desnos, Benjamin Péret, René Crevel, Henri Michaux et se lance à corps perdu « contre le roc de la psychose sans se douter que le poète en lui s’y fracassera ». Ferdière se consacre alors entièrement à la psychiatrie, promeut activement l’activité artistique de ses patients, participe à des expositions d’art brut, pratique pour la première fois en France la lobotomisation. Au printemps 1940, il organise un hôpital de fortune pour les blessés de l’exode. En 1941, il dénonce le scandale des restrictions alimentaires dans les hôpitaux psychiatriques. La même année, « dans l’intérêt du service », il est muté à Rodez dans un asile public promis à la fermeture, il y invente l’électrochoc. Ferdière accueille et sauve Antonin Artaud, délirant et emmuré en zone occupée, et grâce à ses soins le rassoit à sa table de travail avant que ce dernier ne soit happé à nouveau par le Tout-Paris en 1946.
Dans cet ouvrage, l’auteur dresse avec brio, le portrait attachant d’un homme qui a connu les gifles de ceux qu’il n’a pas sauvé, l’exil, les deuils et, qui plus est, mourut sans œuvre, « coupable d’être resté à hauteur d’homme malgré la tentation de se faire plus grand que soi et la volupté de se faire haïr »