Sud-Ouest dimanche, 17 avril 2005, par Gérard Guégan

Le chaudron des douleurs

Il est des livres dont on sait tout de suite qu’ils ne nous quitteront plus, qu’on y reviendra dans les jours de vague à l’âme, quand manquent les découvertes. Précis de médecine imaginaire est de ceux-là. Emmanuel Venet, son auteur, un psychiatre de 45 ans, a écrit là le condensé de nos vies que la maladie, vraie ou imaginaire, rend si romanesques. Car si l’être humain était débarrassé de la douleur, psychique autant que physique, l’art, ce mensonge dont nous nous nourrissons, n’y résisterait pas. Il faut avoir mal pour oser se frotter à l’indicible. Un écrivain est nécessairement un grand souffrant et son thérapeute. D’où la folie, d’où la démesure. Inutile cependant qu’elle s’exprime à grands sons de trompe. À chacun sa musique. Il est des sonatines plus obsédantes, plus cruelles que de grands opéras. Et justement Emmanuel Venet, loin d’imiter un autre de ses confrères, le docteur Céline, en multipliant comme ses récents épigones les trois points d’exclamation et le faux parler faubourien, s’en tient à la plus belle des proses, celle des courriéristes, entre Restif et Jules Renard, et c’est ainsi qu’il est moderne. Très moderne. Divisé en quatre parties, son Précis est aussi passionnant, émouvant, dérangeant qu’un film d’Eustache, une chanson de Springsteen ou un air de Steve Reich. Pour lui, tout commença avec sa mère arthritique, jamais en retard d’une confidence sur « sa » maladie, musicienne empêchée de jouer du piano, et à cause de qui le fils, Emmanuel, se trouva contraint d’apprendre, d’abord, le solfège, puis la médecine. Il y a des destins plus ennuyeux. Reste que ce Précis de médecine imaginaire a la forme d’une partition. Les observations se suivent comme autant de notes de musique, et chaque fois, pas fatigués de passer de l’étude des traumatismes crâniens à celle du paludisme, nous nous laissons prendre, trop heureux que ça reparte. Aussi, quand le livre se referme, n’a-t-on qu’une envie : applaudir et crier « encore ! ».