Le Monde des livres, 10 avril 2009, par Monique Pétillon
La Mongolie onirique de Christian Garcin
Embarquement immédiat ! Les lecteurs intrépides qui, suivant les traces de Christian Garcin, s’engageront sur La Piste mongole, se souviendront du périple. Traversée de la steppe, de « lits de rivière desséchés », dans le 4 X 4 conduit hardiment par Dokhbaar, le chauffeur mongol, mais aussi transports chamaniques dans le monde parallèle des esprits et des morts.
Le voyage, que Garcin considère comme un « déclencheur d’écriture », a été en partie suscité par un rêve : « C’est, dit-il, un rêve cartographique que j’ai fait moi-même, et que j’ai intégré dans un de mes romans. »
On l’aura compris, La Piste mongole, ample roman polyphonique, n’est pas le simple récit de ce voyage – qui a réellement eu lieu en 2006 et dont rend compte un « carnet de route », Du Baïkal au Gobi (L’Escampette, 2008). Il s’agissait, explique l’auteur, « de s’imprégner des lieux où se déroulerait le roman à venir ».
Sur le chemin de la Mongolie, l’attrait puissant du lac Baïkal lui inspire un épisode : le voyage initiatique d’un des personnages, Chen. « C’est le lac le plus vieux et le plus profond du monde, cela influe sur notre perception, commente Christian Garcin. Selon les Bouriates, il y aurait, sur une île de ce lac, un point de passage privilégié entre monde visible et invisible. »
L’Orient « aimante » depuis longtemps cet écrivain, qui vit à Marseille, où il est né en 1959. « J’ai essayé d’expliquer cette attirance dans Itinéraire chinois (une énigme) (L’Escampette, 2001). Deux de mes arrière-grands-pères étaient commandants dans la marine marchande, et ma grand-mère me répétait que j’irais en Chine. »
C’est en Chine que le romancier a d’abord envoyé Eugenio Tramonti, journaliste et écrivain, dans Le Vol du pigeon voyageur (Gallimard, 2000) : un personnage que l’on retrouvait à New York dans La Jubilation des hasards (2005). La Piste mongole est le troisième volet du triptyque : « Triptyque plutôt que trilogie, précise Garcin : on n’est pas tenu d’avoir lu les volumes précédents. »
Dans La Piste mongole, on recherche Eugenio Tramonti, qui, naguère en quête d’absents, a, à son tour, disparu en Mongolie, alors qu’il tentait de retrouver un géographe sibérien, Evgueni Smolienko. Son ami, Rosario Traunberg, un Franco-Argentin de Marseille, part pour élucider ces disparitions en cascade, en ne disposant, pour tout indice, que de trois noms inscrits sur un papier. Mais la piste géographique se double de pistes narratives : époustouflant jeu de fictions-gigognes, graves ou burlesques, où plusieurs narrateurs font alterner leurs voix – une jeune chamane, Pagmajav et un galopin, Shamlayan, qui intervient dans les rêves d’un Chinois, Chen Wanglin.
Rhizomes narratifs
« Les personnages viennent de l’imaginaire des contes et légendes de cette partie du monde, explique Christian Garcin : un syncrétisme russo-sino-mongol (la sorcière Surgündü est une sorte de Baba Yaga). J’ai mêlé tout cela, sans plan préétabli, en veillant à la cohérence du récit. » On circule allégrement dans ce labyrinthe, sans jamais perdre le fil : « Il y a, ajoute-t-il, un niveau de narration horizontal tout simple un personnage qui en cherche un autre. Et des puits fictionnels, qui sont à la fois les voyages intérieurs, les rêves et les histoires que raconte Chen. » Des réseaux souterrains, « des rhizomes narratifs » relient ce roman à la plupart des 24 livres précédents de Christian Garcin poèmes, essais, nouvelles, biographies fictives – qui, depuis Vidas (1993), constituent une œuvre déjà considérable. « C’est, dit-il, un système d’échos, de passerelles ». Notamment avec le thème obsédant du terrier, de la grotte où des solitaires s’enfouissent jusqu’à la mort. Comme ce personnage d’un magnifique roman, Sortilège (Champ Vallon, 2002), Ezra Bembo, qui réapparaît dans La Piste mongole.
« Il faut que je vous raconte une très belle coïncidence : trois semaines avant de partir pour le Japon, cet été, j’ai découvert que les ascètes de l’ancienne secte Yamabushi, intégrée au IXe siècle dans le bouddhisme shingon, laissaient leur corps se dessécher avant de s’enterrer dans un terrier. Moi qui venais d’achever ce roman, où plusieurs personnages finissent ainsi, j’ai été remué quand j’ai lu cela… Même les histoires les plus invraisemblables reflètent une vérité. Je ne crois pas à la sincérité en littérature. Je tiens des journaux, des carnets à la première personne que je publie dans des revues. Il n’y a pas là plus de moi que dans les fictions que j’écris. »