Livres hebdo, 24 novembre 2006, par Sean James Rose
L’appel de la forêt
Au commencement, il y a une visite à Ornans. Au musée Courbet, Christian Garcin achète une carte postale d’un tableau qu’il n’a pas vu. Cerf courant sous bois, peint vers 1865. L’auteur du Vol du pigeon voyageur est d’emblée saisi par l’œuvre du grand maître du réalisme. Mais pas pour le réalisme justement, plutôt pour l’irréel qui se dégage de « la bande de vert que transperce et dans quoi se dirige le cerf » – le monde inconnaissable des bêtes, l’autre monde. Cette fulgurance face à l’image, Garcin la décrit, tel « un saisissement mêlé à l’effacement ». Et la reproduction de devenir matière à réflexion sur le mystère symbolisé par la forêt.
Le monde auquel est consacré cet essai est autre, dans le sens où il implique une rupture de plan, il s’agit d’un monde en deçà du verbe et au-delà de la course du temps, « d’avant nos regards et nos mots ». Christian Garcin, comme pour mieux prouver l’irrationnel de son expérience, adopte ici une manière souple : il entremêle la fiction d’une chasse au chamois et le souvenir de la vraie mort d’un écureuil ; au fil de la plume, sont évoqués la mort du dieu Pan ou le temps suspendu dans la forêt du Morois où s’aimèrent Tristan et Yseult; plus loin, il fait un petit éloge du cinéaste Andrei Tarkovski. L’auteur ne livre pas tant une étude iconographique qu’une interrogation inquiète sur le but même de l’art, sur la puissance toute relative des mots. Et en filigrane du texte, cette obsession qui traverse ses autres livres, le mystère de l’apparition et de la disparition – épiphanie et néant. Ironie suprême: la carte postale du tableau jamais vu s’est égarée dans un livre où elle a dû servir de marque-page.