Tageblatt, janvier 2007, par Corina Ciocârlie et Laurent Bonzon
Une très belle rêverie en marge d’un tableau peu connu de Gustave Courbet, Cerf courant sous bois.
L’expérience d’une altérité absolue et pourtant si proche se dessine, au fil des pages, à travers l’âpreté primordiale des matins froids, l’humidité des bois, la fascination des bêtes, le contact puissant et chaud des corps et des fourrures.
En mettant ses pas dans ceux de Tristan et Iseut, Christian Garcin franchit le miroir pour s’abîmer à son tour dans cette forêt du Morois où le temps se dissout et le désir s’évanouit. Une silhouette rapide, une odeur chaude et forte, un regard furtif, une vérité évanescente, une lente houle d’herbes dans un film de Tarkovski bref, un autre monde laissant entrevoir une dimension parallèle, inconnaissable et à jamais insondable, loin des rives du langage et de la représentation.
« Dans l’imaginaire médiéval, la forêt est l’ailleurs, l’anti-société, le monde non balisé des bêtes et des parias. Le meurtre, le viol, la dépossession et la mort y menacent. On sait que dans les contes il ne faut pas s’éloigner du sentier, qui est comme un mince et rassurant souvenir de l’humain au sein d’un monde sombre, enchevêtré, sauvage, illisible, menaçant. À l’écart du sentier détroussent les brigands et attaquent les loups : ceux qui vont à quatre pattes et ne sont pas toujours dangereux, comme ceux qui vont à deux pattes et le sont infiniment plus, surtout pour les jeunes filles pubères. Comme la nuit pour le jour, comme la bête pour l’homme, comme le rêve pour la veille, comme l’écriture pour le langage, la forêt est un envers du monde. Elle procède de la sauvagerie, quand sa lisière ouvre sur la raison des champs cultivés. »