Le Magazine littéraire, février 2011, par Jean-Baptiste Harang

Tribulations en Chine

Certains livres, comme des contrats d’assurance, doivent être lus avec attention, de toutes petites lignes contiennent parfois d’importantes informations qui pourraient se retourner contre vous lorsqu’il sera trop tard. Ici, dans le bas de la page 8, à gauche, avant même le prologue, on peut, on doit, à l’aide d’une loupe, lire ceci et ne jamais l’oublier « Chen Wanglin est un jeune Chinois (né en 1983) qui vit à Pékin. Il écrit toutes sortes d’histoires qu’il ne termine pas toujours. Le détective privé, Zhu Wenguang, dit Zuo Luo, ou Zorro, lui a inspiré ce récit […]. » Maintenant, vous pouvez y aller. Nous irons en Chine, à New York et au Japon. Avec Zorro. Zhu Wenguang, donc, est un détective spécialisé dans l’enlèvement de jeunes femmes mariées contre leur gré, malheureuses en ménage, violentées. Son métier est difficile, car trop souvent les femmes rendues à leurs parents, qui les avaient vendues naguère, sont aussitôt renvoyées. Il est seul : son unique ami, Bec-de-Canard, est son indic, trop timoré pour le suivre dans l’action. Mais Zhu Wenguang n’est pas seulement un professionnel aguerri; il a un cœur, et la nostalgie des femmes qu’il a aimées, et qu’il n’a jamais osé ou pu garder auprès de lui, justicier solitaire et entêté. (La solitude est le jardin de la mémoire.) De ces trois femmes, il va retrouver la trace ou la tombe, la fille ou la mère, l’âme ou l’ombre. Des femmes disparaissent est un roman d’aventures. Bien sûr, tout au long du voyage de Zhu Wenguang, nous verrons renaître ces silhouettes perdues que l’éditeur présente ainsi sur la couverture (on s’en tient à ces mots, de peur d’en dire trop) : « De la belle Yatsunari Sesuko, qui a fini sa vie cloîtrée dans un temple bouddhiste, à la timide Zheng Leyun, dont la famille fut massacrée pendant la Révolution culturelle, en passant par la délicieuse Yang Cuicui jadis maltraitée par son yakusa de mari […]. » Mais la véritable aventure est ailleurs, c’est une aventure littéraire. Christian Garcin, tout en gardant le style maîtrisé qu’on lui connaît, se permet, sans trébucher, de conduire le lecteur sur tous les registres de la narration, parmi lesquels une surprenante drôlerie et une petite touche de mélodrame. Le récit de ces aventures oscille entre la bande dessinée (Lotus bleu ?) et les picaresques Tribulations d’un Chinois en Chine – et ailleurs. Puis soudain tout cède la place à l’introspection la plus profonde, pour brutalement s’effacer devant un conte philosophique, sans jamais perdre le lecteur en route ni le fil de la narration malgré la liberté savante prise avec la chronologie. Parfois, on croit entendre Philip Marlowe, et tout à trac, au milieu d’un chapitre de pure narration, surgit, comme dans un film muet, un carton qui nous transporte d’une cocasse contingence sous le souffle du surnaturel : « Très brève histoire de Michele Chen et du chien Vieux-Fang, racontée par Zhu Menfei à son cousin Zhu Wenguang, dit Zuo Luo ». Et encore, vous n’avez rien vu parfois, c’est le chien qui raconte. Alors, avant d’embarquer dans cette superbe lecture, relisez plutôt votre contrat d’assurance. Surtout les petites lignes.