Le Monde, 21 mai 1993, par Patrick Kéchichian
François Bon se place résolument à l’intérieur de cette « culture » du travail et de l’usine ; culture que son propre parcours professionnel l’autorise amplement à connaître et à comprendre.
[…] Mais, au-delà du témoignage sur le monde de l’usine, des forges, fonderies, aciéries, ce que l’auteur cherche à faire entendre et physiquement sentir, ce sont les bruits, les paroles, le savoir qui constituent ce monde. « La revanche qu’on voulait de mots et d’une langue qui ressemble à tout ça, les bruits, le fer et l’endurcissement même, un travail de maintenant fort comme nos machines. » Ce mot de « revanche » ne doit pas tromper sur les intentions et la pensée de l’écrivain. C’est moins la dénonciation ou la révolte qu’il désigne – même si celles-ci sont présentes et animent son geste littéraire – que la volonté de construire une parole directement articulée sur son objet, d’en faire un objet de mémoire.
[…] L’écriture est aussi une fabrique, un atelier. François Bon plie sa langue, ses mots et sa syntaxe, afin de parvenir à l’image concrète de ce lien de connivence entre l’homme et la matière. Lien douloureux, disharmonique, obligé. Lien que la culture dont nous parlions recèle mais que hors du travail de la littérature elle ne saurait exprimer. Bon, par ce travail précisément, par le souci de la langue, montre cette image, sa beauté farouche, reconstitue, au profit de l’homme, cette parole éclatée, perdue.
François Bon appartient à cette catégorie d’écrivains – et il faut citer à côté de lui, partageant cette même exigence, Pierre Michon ou Pierre Bergounioux – qui conçoit l’écriture comme moyen d’accès au réel, comme révélation et connaissance de ce noyau dur qui est au cœur de l’existence et de l’expérience humaines.