Le Quotidien jurassien, 8 janvier 2000, par Josiane Bataillard
Derrière un Paysage fer, l’écriture pendulaire de François Bon
Une mémoire collective
« Cela apparemment n’intéresse pas la mémoire collective. On ne fait pas un livre avec des images d’écluses, d’aiguillages fortifiés, de tréfileries au temps roi de l’acier, et encore moins de livres avec cet arrière des villes, par quoi elles se laissent caresser et avouent, laissent percer par quoi, quelle que soit leur taille, c’est encore affaire de vie en bras de chemise, de linge qu’on met à sécher et de fauteuils plastiques qu’on arrange dans une cour, affaire de nains de jardins sur les pelouses des pavillons années soixante-dix au bord des chefs-lieux de canton que le train rogne même s’il n’y a plus de gare. » On pourrait le dédier, lui qui ne l’a pas fait, ce livre, à nos pères manœuvres, ouvrir les yeux sur ces usines mortes, sur les nouveaux bâtiments, ce n’est pas plus moche que ces « enseignes vulgaires et panneaux de publicité […] pour des pacotilles » que l’on s’impose sur les routes aux abords des villes.
Beaucoup d’humour, mais disséminé, par touches puisque le projet initial est de construire le visible que le train révèle et dérobe. De la poésie comme un crachin léger, quand le mauvais temps voile la vue. Des images, cocasses par le rapprochement qu’il observe dans le paysage, ainsi les cases des urnes funéraires font les mêmes taches claires et sombres que les fenêtres allumées ou éteintes des immeubles à Vitry-le-François. Un rythme particulier, très syncopé, de la syntaxe. Par exemple des verbes à l’infinitif, des participes passés sans auxiliaire, tous limités à l’évidence, la juxtaposition des propositions ou, au contraire leur enchaînement avec des subordonnants lourds, massifs. Une langue qui arrache les yeux, qui tonitrue à voix haute. À lire, avant qu’on « ne regarde même plus, peut-être, aux vitres du train. »