L’Express, 9 février 2011, par François Busnel
Le Zorro chinois de Christian Garcin
Christian Garcin nous entraîne sur les talons d’un zorro chinois pour un road-movie noir et musical.
Est-ce un roman policier ? Est-ce un conte moderne ? Les deux. Et rien de tout cela. Christian Garcin, véritable manieur de rêves, emprunte aux différents genres littéraires pour créer le sien, où se croisent la logique rigoureuse de l’enquête et le délicieux farfelu de la fantaisie. Reprenons : Des femmes disparaissent se présente comme le récit des investigations du détective chinois Zhu Wenguang, dit « Zuo Luo », ou encore « Zorro », pour retrouver la piste de femmes vendues par leurs familles à des maris indélicats – ces derniers les séquestrent, les battent, les violent. Mais au bout de quelques pages la nostalgie de l’enquêteur ainsi que d’inexplicables traditions mystiques conduisent le lecteur à suivre les indications fournies par un chien de Manhattan en qui notre Zorro croit reconnaître la réincarnation d’un ancien compagnon.
Foutraque ? Oui. Pourtant on se prend à suivre, avec un plaisir que renforce l’écriture simple et belle de Christian Garcin, les tribulations de notre moderne Zorro, de Guangzhou à New York en passant par Hokkaido, au Japon. Chez Garcin, la narration est lente, subtile, parsemée de dialogues souvent drôles et de contes philosophiques très factuels. Ainsi Zorro se remémore-t-il trois femmes qui ont marqué sa vie et dont il n’a pu infléchir le sort bien davantage qu’il ne pousse son enquête, laissant le hasard ou le destin guider ses pas. Ce détective amateur (il était autrefois vigile dans un magasin de prêt-à-porter) vit dans un monde intérieur que l’auteur nous présente au fil des pages. Pas bavard, le détective. « Parler n’était d’une manière générale pas son fort. Expliquer encore moins. Et surtout, il détestait raconter. » Idéal, pour un polar, non ?
Roman noir, road-movie, légende fantastique, ce livre déroutant propose une revigorante plongée dans le monde actuel. Christian Garcin alterne descriptions des délices de l’Asie et horreur de ces destins brisés. Le contraste est saisissant. Il propose, au passage, une belle réflexion sur la vengeance, exhumant un vieux conte chinois, celui de la barque et des deux moines (dont on ne dira rien dans cette chronique). Ajoutons que, pour une parfaite immersion dans l’univers de notre détective justicier des temps modernes, Garcin propose une « bande-son », chapitre par chapitre, en puisant dans le répertoire peu connu mais passionnant de l’opéra chinois. Surprenant.