L’Humanité, 1er septembre 1995, par Jean-Claude Lebrun
Des mots qui émergent de ces plongées solitaires, suscitées par l’écrivain (« les emmener au plus obscur de là où naît le langage, hors de toute convention et partage ») se dégage la forme d’un monde terriblement meurtri, mais non sans ressources, pour qui a appris à voir […] Pourtant le malheur se donne ici pour ordinaire […].
[…] Mais Zola ne campe pas dans cet horizon. Rimbaud et Henri Michaux tiennent en effet le haut du pavé, parce qu’une langue doit s’inventer, qui puisse en même temps capter de sombres illuminations intérieures et dire ces vies se cognant dans leur étroit périmètre. Il faudra pour cela d’abord apprendre à voir […]. En faisant fonctionner la mémoire et le savoir, quand justement la ville, qui ferme ses mines, pour « la première fois dans le temps humain », s’apprête à couper le fil. François Bon rend ici palpable ce qui peut circuler entre cette ville et ces vies, que l’on retrouve accroché dans les mots à l’orthographe phonétique des écrits de l’atelier.
[…] Ces paroles se tressent avec celles de François Bon, en une sorte de combinaison naturelle, où se devinent de la complicité et du respect.
[…] Portée par une langue qui n’appartient ni à la poésie ni à la prose, comme parcourue d’éclairs qui viennent strier la récapitulation du réel, dans ce qu’on a peine à nommer seulement des exercices d’atelier d’écriture, tant s’y joue quelque chose de fondamental. Pour ces femmes et ces hommes, pour l’écrivain, pour nous. Non seulement une appropriation de leurs vies à travers leurs textes, mais aussi la rencontre avec une stature d’eux-mêmes qu’aucun ne soupçonnait auparavant. Tout cela que suggère admirablement le livre de François Bon.