Page des libraires, septembre 2001, par Renaud Ego
Des voix, des photos, une maison immobile. Ce qui reste d’enfance avant qu’elle ne s’efface. Le narrateur y revient an moment où la vie de son père s’achève. Urgence et désarroi, urgence à saisir le vif de ce qui se pétrifie, et désarroi de voir combien vieillit ce qui, hier encore, brillait d’un éclat neuf. Mécanique est le livre d’une mémoire proche, celui de la France d’après-guerre où le rêve du progrès s’incarna dans le fuselage de quelques automobiles et dans l’horlogerie prestigieuse des moteurs. Garagiste, concessionnaire, le père s’identifie jusqu’au bout aux voitures. Passe sur ses lèvres « l’émerveillement : rien qu’au mot Panhard » ou à l’évocation de la DS. Le ronronnement des moteurs monte, il a les accents d’une langue : « culasse plate à soupapes non culbutées », « un Delco gros comme une assiette, un Delco à six plots ». Formules douées de mystère, augures d’un plaisir qui brillait de la liberté nouvelle dont la croissance des trente Glorieuses, ses objets et notamment ses voitures, semblaient être la promesse. Mécanique est pourtant un récit presque immobile, écrit dans une langue qui dispose les pièces, comme mortes, d’un rouage dont l’assemblage est vain. Il a la nostalgie d’un inventaire, mais il en a aussi l’exactitude dans la restitution des détails, ces détails dont Nicolas Bouvier disait que par eux on apprend les provinces et que par les provinces on apprend les pays. Par eux, ici, une vie se reconstitue, mais à la façon dont l’anatomie explique la vie, sachant qu’elle n’en retrouvera pas le souffle. De ce manque, de cette absence recomposée avec justesse dans sa béance, François Bon touche la texture, et il en suit le fil comme il y a « ce ralentissement du temps et la perspective de la route qui s’allume dans le faisceau des phares », avant que tombe la nuit.