Tageblatt, mars 2011, par Laurent Bonzon
Bons baisers de Guangzhou. Un roman chinois de Christian Garcin
Après La Piste mongole, Christian Garcin poursuit avec bonheur sa double vie romanesque en Extrême-Orient, dissimulé à moitié derrière l’un de ses personnages. À la fois récit initiatique, subtil roman à tiroirs et enquête policière, Des femmes disparaissent met en scène un détective redresseur de torts, Zhu Wenguang – dit Zuo Luo, ou encore Zorro.
Dans La Piste mongole, le jeune Chen Wanglin, possible héritier d’une fonction de chaman, se laisse plus ou moins gouverner par ses rêves et devient écrivain dans le seul but de les raconter. Dictés par ses visions, ses récits déraillent souvent, passant d’un lieu à un autre, alternant de multiples narrateurs, prenant plaisir à égarer son éventuel lecteur… Un bonheur évidemment partagé par Christian Garcin, qui aime à multiplier les fausses pistes, les récits à l’intérieur des récits, les effets de double et de miroir, les personnages bondissant d’un roman à un autre. La preuve, Des femmes disparaissent, son dernier roman est sous-titré « Un roman de Chen Wanglin ». Une façon de partager et de ne pas prendre toute la place, un moyen de laisser les personnages. s’autonomiser un peu plus, mais aussi de continuer à creuser tout en s’abritant. Car, tout comme La Piste mongole, Des femmes disparaissent n’est pas de ces romans fabriqués par des auteurs en mal de décors exotiques ou de situations romanesques inattendues. Non, chez Christian Garcin, la piste mongole/chinoise/japonaise… est « sérieuse », possédant un sens véritable par rapport à son œuvre, traversant des paysages intérieurs qui font partie de son espace mental.
En Chine donc, Des femmes disparaissent… pour de multiples raisons. La plupart du temps parce qu’elles sont maltraitées par leur mari ou par celui à qui leurs parents les ont vendues. Ce qui revient généralement au même. Redresseur de torts, le placide Zhu Wenguang – « tout d’un lutteur de sumo à la retraite, le chignon en moins » – s’est fait une spécialité de libérer ces créatures au destin funeste. Une vocation qui vient de loin chez ce détective, marqué par la disparition des trois femmes qui ont traverse sa vie : Yatsunari Sesuko, Zheng Leyun et Yang Cuicui. Cette dernière finissant par mourir après vingt ans de coma suite aux coups reçus de son yakusa de mari. C’est d’ailleurs la recherche de ce meurtrier qui décide Zuo Luo., à partir pour New York puis au Japon, guidé par son instinct et par les conseils surnaturels d’une femme medium, mais aussi d’un vieux chien pelé qui n’en est plus à sa première vie. Une enquête poétique au pays des morts et des souvenirs menée de main de maître par un écrivain qui multiplie les détours par les histoires et les contes traditionnels, les chansons chinoises et l’humour de tous les pays. Véritablement réjouissant.