Zibeline, février 2011, par Aude Fanlo
La clé des songes
Zuo Luo, Zorro chinois, est inspiré d’une réalité sombre de la Chine : un curieux justicier libère les femmes qui, vendues par leur famille pauvre, sont ensuite séquestrées et battues par leurs maris. Mais il apprend au cours de l’histoire qu’il est lui-même le personnage du jeune chaman écrivain du précédent roman de Christian Garcin, La Piste mongole. Des femmes disparaissent, c’est donc d’abord un roman policier, à la façon de Chandler ou Melville : un héros taciturne et massif se lance sur la piste d’un yakusa sanguinaire lié aux trois femmes disparues de sa propre vie. Et si tous les ingrédients du genre sont réunis – du suspens, des interrogatoires musclés, des bars enfumés et des ruelles sombres, une intrigue qui nous emmène de la Chine au Japon en passant par le Chinatown new-yorkais, c’est pour mieux être déjoués : des yakusas impotents ou réincarnés en vieux chien fouineur, des rituels ancestraux de mort par enfouissement, une enquête qui se transforme en quête intérieure, le but se dissipant comme un mirage au fur et à mesure qu’on avance, le tout sous le regard sans âge d’animaux dubitatifs, la voix sans visage de contes traditionnels, et le rythme exotique d’opéras chinois… Ainsi l’œuvre de l’auteur se construit-elle comme un labyrinthe aux bifurcations multiples, où les personnages circulent d’un récit à l’autre, dans la réflexion curieuse de la réalité et des fictions qui s’engendrent en se réinventant. Et par la puissance chamanique d’une écriture drôle et mélancolique, où la clé de l’intrigue tient – et se dérobe – dans la coïncidence mystérieuse de destins croisés, et dans la convergence sans pourquoi des souvenirs, du passé et du présent, des mondes extérieurs et intérieurs.