Les Inrockuptibles, 14 décembre 2011, par Emily Barnett

Folle enfant

Dans la banlieue lyonnaise, une petite fille voit arriver la fin du monde. Entre sci-fi et chant poétique sublime, François Dominique signe un récit fascinant de singularité.

Il dit avoir longtemps été importuné par cette voix d’enfant. François Dominique est l’un de ces auteurs qui gagnerait, comme on dit, à être connu. Pour son goût de l’économie, la recherche de la note juste : Solène fut d’abord un texte au long cours, réajusté en un roman d’une centaine de pages d’une densité poétique à faire pâlir le réel, trembler les paysages.

Que cette évidence naisse d’un monde en ruine ajoute au beau. Le livre commence, et nous voilà plongés dans une planète en cours de liquidation soumise aux caprices d’un fléau. Lequel ? Seules d’étranges formules surnagent, extensions abstraites du désastre : des « ombres létales » et des « mots crevores », un ciel trop rouge, des urnes à perte de vue, des orties partout. Ce sont les visions d’une gamine, la Solène du titre, réfugiée dans une villa décrépie de la banlieue lyonnaise avec ses frères et ses parents.

Le décor prend vie dans ce babillage étrange, qui lui donne son relief saccagé, ses invités indésirables – des zombies entre lesquels il est recommandé de slalomer à l’heure du ravitaillement. À mesure que les êtres et les choses se disloquent dans un « effritement généralisé », c’est à l’œil de l’héroïne de reconstituer le monde, à sa façon. En lisant dans la pensée des gens, trop facile ; par un « journal de pensées volantes » et sa bataille amoureuse livrée aux mots : « Je voudrais tellement les ramasser, en faire quelques bouquets avant que le silence n’avale tout et ne s’avale lui-même. »

En jouant sur cette ambiguïté des mots et du mensonge, l’auteur raccroche admirablement son apocalypse à l’hypothèse d’un délire enfantin. Anti-Alice au pays des merveilles, Solène dépeint un cauchemar collectif qui n’est peut-être que le sien. Le lecteur est ainsi prié de gober pas mal d’aberrations sublimes, parmi lesquelles des hordes de libellules fluo, des galets de cristal, des abeilles transparentes. L’un des fils à tirer de ce texte serait donc celui de l’enfance hybridée au fantastique, formule magique de la littérature qui dore ici la phrase comme un métal précieux.

Mais dans ses multiples reflets, ses rayons évocateurs, Solène abrite encore d’autres sens, ces métaphores qu’on sent habilement politiques. Divisé entre zones infestées et « bulles de protection », le territoire que François Dominique a voulu identifiable voit remonter d’autres hécatombes à sa surface, d’autres enfers et saisons mortes. Le roman réanime un passé autant qu’il formule un futur, s’anime d’un danger supplémentaire mais enchanté, susurré par une petite fille trop folle.