L’Ours, septembre 2012, par Robert Chapuis

C’est un tableau célèbre de Giorgione, peint vers 1505, qui sert d’appui à ces « conversations sur l’histoire ». Sous un titre approximatif – Les trois philosophes – le tableau évoque trois personnages d’âge différent, qui appartiennent à des époques et à des lieux différents. C’est dans ces interstices qu’intervient l’historien, avec le recul nécessaire. Il lui revient de mettre en relation des informations, des documents, des témoignages et de dire son fait au réel. Patrick Boucheron cite Michel Foucault : « Savoir, même dans l’ordre historique, ne signifie pas « retrouver » et surtout pas « nous retrouver »… [L’histoire] creusera ce sur quoi on aime à la faire reposer, et s’acharnera contre sa prétendue continuité. C’est que le savoir n’est pas fait pour comprendre, il est fait pour trancher. »

Ainsi ces personnages qui peuvent représenter l’Antiquité, le Moyen-Âge et la Renaissance devant la caverne de Platon (mais on leur a donné bien d’autres significations !) ont chacun leur spécificité qu’il faut révéler sans les revêtir de nos propres manières de penser. Spécialiste du Haut Moyen-Âge (il a dirigé la collection de l’ouvrage sur L’Histoire du monde au 15e siècle), Patrick Boucheron est un pédagogue hors pair. Dans une langue imagée et suggestive, il se saisit des données fournies par les écrits du passé pour nous conduire à la compréhension « historique » des faits. Ils sont parfois fort minces, ainsi d’un discours de François d’Assise sur la place publique à Boulogne, cité par un auteur au hasard d’un passage dans cette ville. En creusant la matière qui lui est fournie, il révèle un moment clef de l’histoire de ce qui fût la chrétienté. J’ai eu l’occasion d’entendre Patrick Boucheron proposer une démonstration de ce type à Lagrasse où il participait au Banquet du livre : ces « conversations sur l’histoire et la façon qu’elle a d’espacer le temps » l’ont précisément engagé à écrire ce petit livre dont on ne saurait trop recommander la lecture. L’écrit vaut l’oral et réussit à en traduire l’intérêt et l’agrément.