Télérama, 17 août 2011, par Christine Ferniot
Quelque chose s’est produit récemment : un désastre, un fléau. Pourtant, Solène, ses parents et ses frères veulent préserver la famille en dépit de tout. Réunis dans une maison de la banlieue lyonnaise entourée d’un vaste jardin, ils sont encore protégés par une bulle magnétique qui éloigne les bêtes féroces, les Ravagés et les Blafards. Certains voisins sont partis, beaucoup sont morts, le corps désagrégé, telles des poupées d’argile.
Solène, la narratrice, regarde ce monde en perdition, s’amuse avec son petit frère Ludo. Elle écoute les plus grands, prêts à tenter une sortie dans l’autre monde. Elle surveille son père et sa mère qui chuchotent, essayant de paraître sereins. Solène est capable de lire dans la pensée des autres, d’entendre leurs inquiétudes et leurs désirs. Parfois, sa tête devient trop lourde de secrets enfouis, alors elle joue aux devinettes ou aux portraits chinois. Une manière d’écarter la peur et de coller au présent le plus longtemps possible.
Mais le chaos est partout, et la fillette grandit trop vite, avec des craintes d’adulte : « Une pensée terrible me fait peur : et si l’oubli dévorait nos souvenirs et nos pensées, comme l’ombre sale dévore nos corps ? » murmure-t-elle. Peu à peu, le gris envahit tout, et les phrases deviennent borborygmes, murmures avant le silence.
Entre le roman et la fable, Solène est d’abord un texte magnifique sur la force des mots. Quand la narratrice ne pourra plus dire, il n’y aura plus de transmission, à peine une trace pour les générations futures : « J’ai vu en rêve une horde de mots qui se perdaient dans l’air et revenaient en lambeaux… je voudrais tellement les ramasser, en faire quelques bouquets avant que le silence n’avale tout et ne s’avale lui-même », dit-elle.
Tout à la fois récit de science-fiction, fable sur les pouvoirs de l’enfance, roman noir, poème sur la solitude, Solène est également un texte sur l’effacement des couleurs dans la vie quotidienne, telle une marche inévitable vers la mort. Des images en noir et blanc, mystérieuses, inquiétantes, suggestives, qui rappellent les clichés du photographe Bernard Plossu, que François Dominique a souvent accompagné dans des albums où poésie et images se répondent.
Inventif et crépusculaire, Solène ouvre des pistes à l’infini, tantôt lumineuses comme un éclat de rire enfantin, tantôt sauvages comme cette maladie de l’ombre qui guette les derniers survivants juste avant la nuit.