Gai pied hebdo, 30 mars 1989, par Hugo Marsan
Et Dieu ?
Le livre de Pierre Dumayet est une énigme. Une énigme que je n’ai pas envie de résoudre. Autobiographie, mémoire fictive, dérive hallucinée, conte baroque… peu importe. Les mots, les phrases ont une intensité et une présence telles, que la vie s’y coule avec la volupté. Ce serait donc le roman d’une existence : soumise à l’écriture, elle s’offrirait les plus beaux voyages, ceux rituels qui, regardés de trop près, racontent la banalité des jours.
La mer est là, sur le pas de la porte et la mer est loin, au-delà de nos espérances. De la terre on ne connaît que le rêve ou plutôt l’écho métamorphosé des choses de la vie, si ordinaires pour le héros, soudain encombrantes pour le spectateur.
Autant dire qu’ici le lecteur est valorisé, pris en compte avec respect. Il fait son plein de miel et se cogne au miroir. On ne lui raconte pas d’histoires mais toutes ces histoires tissent un long récit intérieur. C’est l’histoire du monde, l’histoire de l’humanité boursouflée de minuscules aventures qui éclatent en douleurs sous l’apparence des joies. Oui, une histoire autour d’une table : Brossard, moi, Gabrielle et la femme de Brossard, quelques éclairs, quelques éclats de chair. Pas de quoi faire un monde… et pourtant ! Et avant de m’engager plus avant, disons que l’humour est maître du lieu : le narrateur est trop vulnérable pour se prendre au sérieux dans un monologue si sérieux.
Le narrateur et son double, inséparable contraire, nous forcent à sourire pour nous retenir dans les marges décentes de la compassion. Et c’est le piège car on ne fait que parler de la vie, à mots couverts que le temps et le désir transforment en légende. Oui, c’est quand même de cette sacrée vie qu’il est question et de reculer les limites de la mort. Des mots sont catapultés et brusquement ressaisis, comme le mot « pédale » qui traverse l’air où un ange ne passe plus. « La conversation – toute conversation – est la répétition d’une pièce qu’on n’ose pas jouer. »
Pierre Dumayet vient d’écrire un très beau roman qui coule à pic dans l’indicible. Au temps si triste des apparences, voici un vrai récit initiatique qu’il faut relire pour ne pas sombrer, si près de la mer et de ses vertiges. « C’est le regard, la nuit qui gêne et devient fou. Nous aimerions tant voir ce que le jour cache. »